Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/990

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lieu de l’action, c’est que les manuscrits joignent souvent à une maxime le nom du personnage ou l’indication de la circonstance qui l’a inspirée. C’est un nouveau lien qui unit les Ricordi au Dialogue et à l’Histoire florentine. Une autre preuve serait le grand nombre de portraits évidemment tracés d’après nature qui se rencontrent parmi ces fragmens détachés. On ne s’étonnera pas que Guichardin ait étudié avec soin des caractères comme ceux du roi Ferdinand le Catholique, des papes Jules II et Clément VII, de Ludovic Sforza et de tant de princes italiens de son temps qu’il a vus à l’œuvre et avec lesquels il a dû traiter. Ferdinand surtout paraît l’avoir étonné par l’habileté et par le succès :


« J’observais, quand j’étais ambassadeur en Espagne auprès du roi Ferdinand d’Aragon, prince sage et glorieux, que, lorsqu’il méditait une entreprise nouvelle ou quelque affaire importante, loin de la publier d’abord pour la justifier ensuite, tout au contraire il s’arrangeait habilement de manière à ce qu’on entendît premièrement répéter dans le public : « Par telles raisons, le roi devrait faire ceci ou cela, » et alors il publiait son dessein, disant qu’il voulait accomplir ce que chacun regardait déjà comme nécessaire, et il est incroyable avec quelle faveur et quels éloges on recevait après cela ses propositions.

« Une des plus heureuses fortunes est d’avoir occasion de montrer qu’on a été déterminé par la pensée du bien public à des actions où l’on était engagé par son intérêt particulier. C’est ce qui donnait tant d’éclat aux entreprises du roi catholique; toujours faites en vue de sa propre grandeur ou de sa propre sûreté, elles paraissaient avoir pour but la défense de l’église ou l’accroissement de la foi chrétienne.

« Nous avons eu en Jules II et Clément VII deux papes fort différens de caractère : l’un d’un vaste et grand esprit, quoique impatient et emporté, d’une humeur franche et libérale; l’autre d’une âme médiocre et timide, mais très patient, modéré et dissimulé. Des hommes si différens ont accompli l’un et l’autre de grandes actions. C’est que chez les maîtres (nei gran maestri) la patience et la fougue sont également propres à enfanter de grandes choses : l’une opère en emportant les hommes et violentant les choses, l’autre en lassant les uns et les autres, en les subjuguant à l’aide du temps et de l’occasion. Les posséder ensemble et les employer chacune en son temps serait un don divin; mais c’est à peu près impossible, et je crois que, pour conduire à bonne fin les plus importantes affaires, mieux valent, omnibus computatis, la patience et la modération que la précipitation et l’impétuosité. »


Nous pourrions multiplier les citations qui montreraient l’auteur ne se séparant pas de l’étude particulière de son temps et restant historien ; mais ce serait donner une imparfaite idée des Ricordi, qui doivent surtout révéler dans Guichardin le moraliste. Si quel-