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quittement d’une dette de courtoisie. Notons d’ailleurs que le projet de voyage au camp de Châlons avait éveillé les unanimes ombrages de l’Allemagne; il faut peu de chose pour agiter l’Allemagne.

Entre la visite du roi de Suède et les manœuvres du camp de Châlons, l’empereur a inauguré le boulevard Malesherbes. L’ouverture de cette magnifique voie ajoute un élément considérable aux embellissemens de Paris. Il est fâcheux seulement qu’à l’extrémité du nouveau boulevard, dans le beau parc de Monceaux, on se heurte à de pénibles souvenirs de confiscation. Faisons un effort pour oublier ces idées, évoquées naturellement par les lieux mêmes; repoussons doucement d’importunes réminiscences. Aussi bien les embellissemens de Paris sont devenus de nos jours une question politique. Lorsque nous ne regardons qu’au résultat matériel de ces travaux, qui assainissent nos villes, y ouvrent aux populations et au mouvement du commerce des voies spacieuses et commodes, en agrandissent la surface habitable, nous sommes de l’avis qu’exprimait naguère ici M. de Rémusat dans ses charmantes notes de voyage. Au point de vue du goût et de l’art, on peut trouver parfois à redire à certaines parties de ces grands travaux improvisés : il faut pourtant convenir qu’ils sont en somme une expression grandiose et séduisante de l’activité commerciale et du génie industriel de notre époque. Ce mouvement de démolitions et de constructions donne lieu dans Paris à des controverses de plusieurs sortes. Nous écartons, quant à nous, la controverse personnelle; nous ne nous rangeons point parmi les adversaires du préfet de la Seine. Pour tenter et mener à fin cet immense remaniement de Paris, il fallait assurément un homme doué de facultés peu ordinaires, et M. Haussmann peut avec un légitime orgueil opposer son œuvre à ses détracteurs personnels. L’homme d’exécution dans le préfet a été surtout remarquable; mais l’impulsion donnée aux travaux de Paris soulève deux questions, l’une économique, l’autre politique, qui à nos yeux dépassent la compétence et la responsabilité du préfet, et sur lesquelles il nous est impossible de donner raison au gouvernement. La question économique est celle-ci : en imprimant une impulsion extraordinaire aux travaux du bâtiment dans les grandes villes, et surtout à Paris, le gouvernement ne s’est-il pas exposé à donner un développement artificiel à une branche particulière de l’industrie? N’est-il pas périlleux de n’avoir point laissé cette industrie dans ses conditions normales, de ne l’avoir pas laissée s’étendre sous l’influence naturelle de l’offre et de la demande, d’avoir ajouté une surexcitation extraordinaire à l’aiguillon des besoins qu’elle était destinée à satisfaire? L’industrie des constructions est régie par les mêmes lois économiques que les autres industries. Ses développemens, pour être sains, doivent être spontanés et proportionnés au mouvement des autres branches du travail. A trop faire, à faire trop vite dans une industrie spéciale, on s’expose à de funestes réactions. Qu’arrive-t-il en effet? La spéculation s’échauffe et dépasse la mesure, les capi-