Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 35.djvu/1003

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

M. de Montalembert glorifie aujourd’hui allient à une inspiration profondément nationale et religieuse une liberté singulière à l’égard du pouvoir temporel de l’église et de Borne. Il y a un poème de Krasinski, l’Iridion, où ce sentiment prend des formes étranges. Iridion est un héros antique ; un Hellène vaincu par le glaive romain, et qui garde contre Rome victorieuse une haine vengeresse. Le poète l’endort pendant des siècles, puis le réveille dans la Rome de nos jours, et que voit-il alors ? « Sous les portiques d’une basilique se tiennent deux vieillards revêtus d’un manteau de pourpre ; quelques moines les saluent du nom de princes de l’église et de pères. Sur leur visage, on lit l’indigence de la pensée. Ils montent dans une voiture traînée par deux chevaux noirs et maladifs… Sur les panneaux de cette voiture, on voit des restes de dorures. Les roues gémissantes ont passé, et avec elles les deux têtes blanches et penchées ont disparu. — Ce sont les successeurs des césars ! dit le guide ; c’est le char de la fortune et des triomphateurs ! » — Et l’Hellène Iridion s’arrête à ce spectacle ; il sent la haine mourir dans son cœur et se trouve assez vengé. Le poète Slovacki a des inspirations bien plus libres encore dans son drame de Kordyan, où l’une des scènes les plus originales se passe entre un Polonais et le pape.

Que veux-je dire simplement ? C’est qu’entre la cause polonaise et la cause italienne il y a des liens intimes, mystérieux, que les peuples sont les premiers à sentir, que les esprits libéraux ne peuvent méconnaître. Elles ont toutes les deux le même caractère. De là le retentissement de la révolution italienne en Pologne, et la popularité de Garibaldi, et le vote des députés polonais du parlement de Berlin en faveur de l’Italie. M. de Montalembert affirme, il est vrai, que les députés de Posen ont commis un crime, que les Polonais n’ont pas le droit d’avoir des sympathies pour l’unité italienne. Ce n’est là, à tout prendre, que l’inconséquence d’un esprit qui cherche dans son affection pour la Pologne le droit d’être plus violemment hostile à l’Italie, Vérité : sur la Vistule, erreur au-delà des Alpes ! M. de Montalembert ne fait à son insu qu’imiter dans un sens contraire ces libéraux équivoques qu’il accuse d’être froids et indifférens pour la Pologne au moment même où ils se font les bruyans sectateurs de l’Italie.

Au fond, dans cette attitude passionnée et militante où il aime à se montrer, dans ce mouvement ardent de pensées et de passions contraires, M. de Montalembert a quelque chose d’un personnage de l’un des drames les plus énergiques, de ce poète Krasinski, qu’il prend aujourd’hui sous la protection de son éloquence. Ce personnage est le héros de la Comédie infernale, le comte Henri, dont