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pas mérité. Le danger est de vouloir réaliser la noble et féconde alliance de la foi religieuse et de la liberté, en identifiant la religion avec ce qui périt et en se servant de la liberté contre l’esprit même d’un siècle et d’une civilisation. M. de Montalembert a eu, dit-il, une foi et une illusion. Il a cru que la liberté religieuse et politique était la seule sauvegarde des sociétés contemporaines contre leurs corruptions ; il a imaginé que la France nouvelle, la France de 1789, était capable d’aimer la liberté et de s’y attacher d’un culte inébranlable. Il garde sa foi, il renonce à son illusion, et c’est là justement son orgueilleuse erreur de refuser, ne fût-ce que par ironie, à la France les vertus qu’il ne réserve que pour lui seul. Il y a sans doute dans le monde contemporain des vices et des corruptions inhérens à une civilisation avancée et à une démocratie victorieuse. Il y a eu des éclipses et des défaillances. La liberté a eu ses épreuves, et la religion a eu les siennes. Je ne sais si la jeunesse est ce troupeau vulgaire que peint M. de Montalembert ; je ne le crois nullement, je crois pour ma part que la jeunesse d’aujourd’hui ressemble à la jeunesse de tous les temps, et qu’à côté des indifférens et des énervés il y a une multitude d’âmes jeunes ouvertes à toutes les émotions généreuses. Dans son ensemble, le mouvement auquel nous assistons n’a rien de vulgaire, et rien au monde ne peut faire croire que dans cette société moderne qui se dégage, qui gagne peu à peu toutes les régions de l’Europe, qui arrive péniblement à la vie, il n’y ait place pour la liberté, pour la dignité, pour l’indépendance de l’esprit, pour la religion elle-même. C’est une transformation confuse et obscure encore, il est vrai, mais qui, loin de décourager du combat, est faite pour attirer les âmes viriles. Seulement ce n’est pas par la haine qu’on la conduira et qu’on interviendra utilement ; c’est plutôt par une juste, vigilante et sérieuse sympathie qu’on peut la conduire vers le bien.


CHARLES DE MAZADE.