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se disant : — Comme tout est tranquille là-bas !… Personne ne se doute de rien, et dans quelques jours quelles clameurs, quels roulemens de fusillade vont déchirer l’air !

Comme il s’agissait d’abord de se procurer de la poudre, Catherine Lefèvre avait tout naturellement jeté les yeux sur Marc Divès, le contrebandier, et sa vertueuse épouse, Hexe-Baizel.

Ces gens vivaient de l’autre côté du Falkenstein, sous la roche même du vieux burg en ruine ; ils s’étaient creusé là dedans une sorte de tanière fort commode, laquelle n’avait qu’une porte d’entrée et deux lucarnes, mais qui, d’après certaines rumeurs, communiquait à de vieux souterrains par une crevasse. Jamais les douaniers n’avaient pu la découvrir malgré de nombreuses visites domiciliaires. Jean-Claude et Marc Divès se connaissaient depuis leur enfance ; ils avaient déniché ensemble des éperviers et des chouettes, et ils se voyaient presque toutes les semaines au moins une fois à la scierie du Valtin. Hullin se croyait donc sûr du contrebandier, mais il doutait un peu de Mme Hexe-Baizel, personne fort circonspecte, et qui n’abonderait peut-être pas dans le sens de la bataille. — Enfin, se disait-il tout en marchant, nous allons voir.

Il avait allumé sa pipe, et de temps en temps il se retournait pour contempler l’immense paysage, dont les limites s’étendaient de plus en plus. Rien de beau comme ces montagnes boisées s’élevant les unes par-dessus les autres dans le ciel pâle, comme ces vastes bruyères s’étendant à perte de vue toutes blanches de neige, comme ces ravins noirs encaissés entre les bois, leur torrent au fond courant sur les galets verdâtres polis comme du bronze. Et puis le silence, ce grand silence de l’hiver !… cette neige encore tendre tombant de la cime des hauts sapins sur les branches inférieures qui s’inclinent, les oiseaux de proie tourbillonnant par couple au-dessus des forêts en jetant leur cri de guerre, voilà ce qu’il faut voir, voilà ce qu’on ne peut décrire !

Environ une heure après son départ du village des Charmes, Hullin, grimpant le sommet du pic, atteignait la base du rocher des Arbousiers. Tout autour de cette masse granitique s’étend une sorte de terrasse rocailleuse, large de trois ou quatre pieds. Cet étroit passage, entouré des plus hautes cimes des sapins élancés du précipice, a quelque chose de sinistre, mais il est sûr : à moins de vertige, on ne risque rien à le parcourir. Au-dessus s’avance en demi-voûte la roche couverte de ruines.

Jean-Claude approchait de la retraite du contrebandier. Il s’arrêta quelques secondes sur la terrasse, remit sa pipe en poche, puis s’avança sur le passage, qui décrit un demi-cercle et se termine de l’autre côté par une brèche. Tout au bout et presque au bord de cette brèche, il aperçut les deux lucarnes de la tanière et la porte