Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 35.djvu/171

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

faut rien perdre, on fit à tout hasard de cette pulpe bleue du papier qui fut recherché et payé sur le marché quatre shillings de plus la rame. Tout le monde félicita le fabricant de sa découverte. Cependant la femme, voyant l’heureux succès de sa maladresse, découvrit le secret à M. Buttenshaw, et fit valoir ses droits au brevet d’inventeur. Le mari la récompensa en lui achetant un riche manteau écarlate qu’elle convoitait depuis longtemps. Je dois pourtant dire que les Anglais ne colorent point d’ordinaire le très beau papier. La couleur est un fard et, pour le papier comme pour les femmes, sert le plus souvent à dissimuler les taches ou les défauts de nature. Au fond de la cuve se trouvent des bras ou des palettes de bois, connus sous le nom d’agitateurs, qui empêchent la partie solide de se déposer et qui entretiennent toute la masse dans un état égal de fluidité. De ce réservoir, le liquide bleu ou blanc coule par une écluse dans un tuyau qui le conduit sur le grand théâtre de la transformation, je veux dire la salle où se trouve la machine qui doit changer la pâte de chiffons en papier.

Cette machine, dont il serait trop long d’expliquer la structure et les détails, a introduit toute une révolution dans les paper mills. Avant elle, le papier se faisait à la main ; cela veut dire qu’on plongeait les moules dans la cuve, et qu’après les avoir emplis, on les recouvrait d’un feutre. Ces moules étaient ensuite suspendus en l’air comme des escarpolettes, et des hommes placés de distance en distance leur imprimaient un mouvement de secousse uniforme pour solidifier la pâte, en la délivrant de l’eau qui l’imprégnait. Soulever les moules était, dans certains cas, un travail d’Hercule. Le plus grand papier qui se fasse encore à la main s’appelle l’antiquaire ; il a cinquante-trois pouces anglais de long sur trente et un de large. Eh bien ! tel était le poids de la quantité de pâte employée pour former une seule feuille, qu’il ne fallait pas moins de neuf hommes, avec des poulies et d’autres machines, pour tirer le moule de la cuve. Une autre grande difficulté était de sécher le papier, surtout par les temps humides. Aujourd’hui la machine fait tout cela, et elle le fait mieux, c’est-à-dire avec plus de précision et surtout avec une plus grande activité. Une fois en mouvement, elle accomplit l’ouvrage de huit jours en huit minutes, et remplace un nombre considérable de bras. On peut dire qu’elle travaille toute seule, car c’est à peine si elle demande à être surveillée par un ouvrier ou par un enfant. Un regard jeté sur l’ensemble du mécanisme nous mettra tout de suite à même de saisir les trois temps de la transformation de la pulpe. Au commencement, c’est du chiffon liquide, au milieu c’est du papier mou, à la fin c’est du papier sec. Chacun de ces trois temps est facile à suivre par un simple coup d’œil, et présente des détails intéressans. Le liquide qui coule de la