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Comme la volonté est la chose en soi, la substance interne, l’essence du monde, comme d’autre part la vie, le monde visible, le phénomène n’est que le miroir de la volonté, le philosophe allemand en conclut que la vie accompagnera la volonté aussi invinciblement, aussi inséparablement que l’ombre suit le corps. Pour vivre toujours, il n’est besoin que de le vouloir. Il ne prononce pas avec hésitation le fameux to be or not to be, il croit fermement qu’il ne dépend que de lui de prolonger le mariage de la volonté à une forme qui en soit l’instrument. Mais quoi ! si ce mariage n’était pas heureux, si cette immortalité n’était qu’une chaîne, si rien ne pouvait la briser, pas même le suicide, parce que celui-ci ne frappe que le corps, que nous resterait-il à faire, sinon à tuer en nous-mêmes la volonté de vivre ? Vous tous qui êtes fatigués de l’ironie du destin, des labeurs mesquins de la vie quotidienne, blessés dans vos espérances, vos désirs, cherchez l’oubli de vous-même, sacrifiez votre individualité, plongez-vous dans le fleuve Léthé du renoncement. « Ainsi, dit Schopenhauer, dans la contemplation de la vie et de la pratique des saints, nous reconnaissons la sombre impression de ce néant qui flotte, comme dernier but, derrière toute vertu et toute sainteté, et que nous craignons de dissiper, de même que les enfans ont peur des ténèbres. Je le confesse volontiers, ce qui reste après la destruction complète de la volonté semble, à tous ceux qui sont encore pleins de la volonté de vivre, un pur néant ; mais à l’inverse aussi, pour ceux chez lesquels la volonté s’est détournée d’elle-même et s’est niée, tout ce monde si réel, ce monde avec tous ses soleils et ses voies lactées, n’est plus à son tour que néant. » Ainsi cette philosophie, qui assoit sa base sur la volonté, a pour couronnement la destruction même de la volonté. L’œuvre de Schopenhauer, si riche en détails, en aperçus profonds, ressemble à un palais bâti sur le bord de la mer ; on admire les somptueuses façades, les longs portiques, on se promène dans les allées bien dessinées, parmi les massifs de verdure ; mais bientôt on arrive sur la plage où l’océan ouvre ses abîmes et murmure ce chant monotone qui invite la pensée à l’éternel repos.

Nous avons opposé Schopenhauer aux matérialistes allemands contemporains ; mais l’école animiste compte d’autres représentans au-delà du Rhin. M. Hermann Fichte, le fils du célèbre philosophe, a cherché à rajeunir l’animisme dans son Anthropologie ; il reconnaît à l’âme une existence réelle et individuelle. Dans son système, chaque âme particulière organise elle-même le corps qui lui est approprié ; ce dernier n’est pas, comme dans la doctrine de Schopenhauer, une volonté objectivée, c’est une âme manifestée dans le temps et dans l’espace. L’âme serait donc étendue ? Oui et non, car si elle n’est pas limitée géométriquement par le corps, elle a cepen-