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pourtant, si le 4e corps prussien était arrivé, on affirme qu’il eût été porté plus avant encore sur la droite, pour mieux assurer le débouché des Anglais, et menacer plus directement la gauche et les derrières de l’armée française. Ces buts différens sont aussi importans les uns que les autres ; mais, pour vouloir trop de choses à la fois, ne court-on pas le risque de n’en atteindre aucune ? Et comment cette ligne immense, presque circulaire, ne sera-t-elle pas percée par un adversaire tel que Napoléon ?

Il lui avait suffi de monter l’escalier de bois d’un moulin à vent, au sortir de Fleurus, pour que ces masses d’hommes, qui lui étaient restées cachées jusque-là, se montrassent tout à coup à ses yeux. Il ne dissimula pas son étonnement de tant d’audace en découvrant ces 80,000 hommes rangés sur de vastes glacis. Aucun d’eux ne se dérobait aux regards, excepté sous les massifs d’arbres dont les villages sont environnés. Quant aux Français, ils avaient cette bonne fortune que les terrains où ils étaient placés formaient de larges plis dans lesquels leurs réserves pouvaient être tenues à l’abri jusqu’au moment où elles seraient appelées à entrer dans l’action. Toute la ligne ennemie se dessinait avec la netteté d’une carte topographique. Les clochers aigus de Saint-Amand, de Wagnelée, de Bry, de Ligny, pointaient au loin à travers le feuillage des arbres, et marquaient l’emplacement des villages qui ne se découvraient pas en entier.

Le doute n’était plus possible à Napoléon. Non-seulement les Prussiens osaient l’attendre, mais ils avaient la prétention de le déborder par sa gauche à Saint-Amand et de l’envelopper, pour peu qu’il cédât sur ce point. Il s’attendait à les refouler devant lui sur la route de Namur; il les voit déployés sur son flanc. Il dut arrêter ses colonnes en marche et modifier subitement son ordre de bataille, ce qu’il fit par un grand changement de front de toute l’armée, la droite en avant. La menace de le couper de la Sambre ne pouvait être méprisée ; elle l’oblige à laisser en arrière, en observation, le corps de Lobau dans la direction de Fleurus.


IV. — PLAN DE BATAILLE DE NAPOLÉON.

Les vastes plaines de Belgique ne sont jamais si unies qu’il ne s’élève quelque part une éminence, un tertre, un monticule boisé, et dans une surface si plane la moindre inégalité du sol vous cache l’horizon. Deux armées de quatre-vingt mille hommes peuvent se dérober l’une à l’autre et ne s’apercevoir qu’au moment de se toucher. C’est ce qui venait d’arriver. Cette même disposition du sol a conduit à des surprises de ce genre dans presque toutes les guerres livrées sur le sol de la Belgique. Nulle contrée n’est plus propre aux