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leur jonction. C’est donc sur la droite et sur le centre qu’il faut porter les grands coups, quoique l’ennemi soit bien préparé de ce côté. Par là on rendra la jonction impossible ; on rejettera l’armée vaincue vers la Meuse, dans la direction la plus opposée à celle de ses alliés. L’action se décidera dans le pli de terrain, à Saint-Amand et Ligny, que l’on domine ; on y arrivera en plongeant.

D’après ce qui a été dit plus haut, on peut prévoir quel sera le caractère principal de cette journée : des attaques de villages, des batailles de rues, la plus meurtrière des actions de guerre, les régimens, les divisions qui fondent et disparaissent, engloutis dans d’étroits défilés de maisons de pierre, jusqu’à ce que la victoire demeure à celui qui aura su conserver une réserve et la lancer à propos dans cette mêlée de mourans et de morts. Qui saura se ménager cette réserve ? Toute la question était là.

Du côté des Prussiens, quarante bouches à feu à Ligny, trente-deux à Saint-Amand, quarante-huit sur leur gauche, à Mont-Potriaux et Tongrenelle, défendent l’approche des villages ; une artillerie égale y répondra du côté des Français.

Placées en amphithéâtre en arrière, les deux armées descendront dans les villages successivement par brigades, par régimens, comme deux fleuves de fer, pour remplacer les morts et alimenter la bataille. Et dans ces rues étroites, ce ne seront pas seulement des combats de soldats sous le drapeau, ce sera une guerre atroce de peuple à peuple, de race à race, dans un enclos, dans une ferme, dans une chaumière. Que chacun se choisisse un adversaire comme dans un duel à mort. Point de quartier : nul n’en demande, nul n’en veut accorder. Aucune autre tactique que celle qui va le mieux à la fureur : l’arme blanche, la baïonnette dès que l’on pourra s’atteindre. Voilà les instructions que les soldats se donnent à eux-mêmes ; elles circulent de rang en rang.

Dans ces circonstances, la cavalerie jouera difficilement un rôle prépondérant : des deux côtés, masquée derrière les hauteurs, elle assiste en spectateur à ce qui se passe au-dessous d’elle. À travers les nuages de fumée, d’où jaillissent les flammes de l’incendie, elle cherche à voir de quel côté tourne la fortune, et selon que les villages sont pris ou perdus, elle pousse des hourras de colère ou de joie, attendant le moment de crise pour s’abattre sur la plaine et achever les vaincus.

Mais, quoique immobile, la cavalerie, par les positions qu’elle occupe, pèse d’un grand poids, même sans combattre, sur l’issue de la journée. Le maréchal Blücher a massé quarante-huit escadrons à sa droite, vers Saint-Amand ; par là il montre clairement son projet d’envelopper la gauche française et de la précipiter sur la Sambre. Un projet si ouvertement annoncé devra difficilement réussir. Napo-