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II. — CHANGEMENT DU PLAN DE BATAILLE.

A la vue de la cavalerie anglaise qui poursuivait les troupes de d’Erlon, Napoléon avait quitté les hauteurs de Rossomme ; il avait gagné au galop celles de la Belle-Alliance. Lorsqu’il y arriva, l’échec était vengé : les cuirassiers et les dragons, après avoir nettoyé le champ de bataille, revenaient à leur position. Sans avoir vu de près le désordre de l’infanterie, il voit le triomphe de cette cavalerie; il la loue, il lui sourit en passant dans ses rangs, et en ce moment même il médite un nouveau plan d’attaque.

Plusieurs conditions en effet ont manqué à celle qui vient d’être tentée. Le 6e corps d’infanterie, celui de Lobau, qui, dans la première pensée du chef, devait appuyer le général d’Erlon, n’avait pu le suivre. On avait dû garder Lobau en réserve pour l’opposer aux Prussiens dès qu’ils déboucheraient. De ce moment, la pensée de rompre la gauche anglaise et de la déborder ne se montre plus dans aucun des efforts de la journée. Ce projet abandonné, c’est désormais sur le centre seul et la droite que Napoléon portera ses coups. Malheureusement aucun des avantages qui se présentaient dans le premier plan ne se retrouve dans cette autre partie du champ de bataille. D’abord, au-dessous des hauteurs de la Belle-Alliance, un ravin profond; au-delà, à mi-côte, la ferme de la Haie-Sainte, déjà assaillie plusieurs fois, et dont la résistance est acharnée; plus haut, la route coupée par un abatis, et au sommet cette même crête de terrain qui se prolonge sur tout le front, mais la plus difficile aux fantassins, presque impraticable aux cavaliers.

Dans ce changement du plan d’attaque, la ferme de la Haie-Sainte, cette lourde citadelle rustique, est le premier point qu’il faille enlever. Ney est chargé de ce soin. La division de gauche du corps de d’Erlon, celle de Quiot, soutenue bientôt de deux bataillons de Donzelot, enveloppe sur trois faces les bâtimens de la Haie-Sainte. Les soldats de Donzelot pénètrent d’un premier élan dans le verger et le jardin; ils en sont chassés, ils y reviennent. Arrivés au pied des murs crénelés, ils saisissent les fusils à travers les meurtrières, et s’efforcent de les arracher des mains des assiégés.

Sur la chaussée, la grande porte est ébranlée par les nôtres à coups de hache; elle résiste. Les cuirassiers de Milhaud vont aussi à l’assaut de ces murailles d’étables et de granges; ils soutiennent les bataillons jusque sur le seuil; les toits d’ardoise protègent la ferme contre le feu, mais l’incendie s’allume dans l’intérieur de la cour. Les assiégés l’éteignent. Déjà 2,000 des nôtres ont jonché de leurs corps les clôtures de la ferme. Enfin la porte de l’ouest, qui