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de la cour conduit au verger, est enfoncée, quoique murée à l’intérieur. La ferme est envahie, les bataillons de Hanovriens et de landwehrs qui l’occupaient, chassés ou détruits. Le major Baring et ce qui lui reste de sa garnison se retirent par le jardin et le côté droit de la route.

Il est trois heures et demie. Le grand obstacle du centre a disparu ; il est dans nos mains. À ce moment, toute la ligne française a fait un grand pas. Elle est descendue des hauteurs qu’elle occupait le matin. La position nouvelle s’étend un peu obliquement des clôtures d’Hougoumont à la Haie-Sainte, et de la Haie-Sainte à la ferme Papillotte. Ce grand succès ne peut rester stérile. Le premier ébranlement de la ligne ennemie imprime à la ligne française un élan irrésistible : chacun croit que le moment de la crise est arrivé. Le maréchal Ney répète à Drouot, qui lui apporte des ordres, que l’on va remporter une grande victoire.

Sans doute, pour achever la trouée, il faudrait de fortes colonnes d’infanterie; mais celles de Lobau, sur lesquelles on comptait, viennent d’être détachées sur la droite, vers Planchenoit, contre un autre ennemi. Déjà elles ont manqué deux fois, par la même cause, aux nécessités de l’attaque. Il est vrai que l’infanterie de d’Erlon est sous la main de Ney; mais, à peine remise du grand choc par lequel elle est entrée dans l’action, cette infanterie, éparpillée maintenant en tirailleurs jusque vers Smohain, n’est plus propre à un tel effort contre les réserves anglaises, dont aucune n’est encore engagée.

Sur la gauche, les trois divisions de Reille, concentrées presque entièrement autour d’Hougoumont, suffisent à peine à en disputer ou à en garder les ruines. Elles ne présentent du côté de la Haie-Sainte que de faibles lignes, souvent interrompues, amincies déjà par le canon. Ces troupes ont usé le premier front de l’ennemi; mais dans cette lutte elles se sont consumées. Il en faut de nouvelles pour poursuivre leurs avantages, ou seulement pour remplir les vides qu’elles laissent à cet endroit de la ligne de bataille. Combien ne dut-on pas regretter alors les 3,000 hommes de la division Girard et les 5,000 laissés en arrière, à Ligny et à Fleurus[1]!

Mais si déjà à cette heure de la journée il n’y a plus d’infanterie disponible, excepté la garde, il reste encore, en arrière de ces deux lignes de fantassins épuisés, les quatre lignes, immenses, superbes, de cavalerie qui sont demeurées immobiles, au même endroit, dans le même ordre où elles étaient au commencement de l’action. De ces nombreux cavaliers, tous hommes d’élite, les cuirassiers de Milhaud

  1. Mémoires de Napoléon, liv. IX, p. 126.