Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 35.djvu/305

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bouche dans Sart-les-Walhain ; il n’a qu’à changer de direction à gauche. Le corps de Vandamme, plus avancé à Nil-Saint-Vincent, appuiera de son côté sur la Dyle. Par un bonheur inespéré, les deux ponts maçonnés de Moustier et d’Ottignies n’ont pas été coupés ; ils sont entiers. Les Prussiens n’ont là que quelques vedettes, et plus loin aucun obstacle jusqu’à Saint-Lambert et Frichermont. Ainsi c’est la fortune qui a gardé ces passages. Qu’on en profite sans retard. Le général Valazé a sous la main un guide qui offre de conduire l’armée en moins de quatre heures. C’est donc bien avant le coucher du soleil que l’armée aura rejoint la gauche et concourra à la destruction des Anglais et des Prussiens, car il faut être aveugle pour ne pas voir qu’ils font à ce moment leur jonction. Si le maréchal Grouchy refuse cette occasion unique, s’il ne veut pas engager toute son armée dans ce mouvement de flanc, au moins qu’il laisse le général Gérard l’exécuter sous sa responsabilité et pour son compte. Il ira seul avec le 4e corps. Qu’il y soit seulement autorisé ! »

Valazé joint ses instances à celles de Gérard. Par malheur, Balthus, commandant l’artillerie de Valazé, est d’un avis opposé à celui de son chef : exemple mémorable du peu de cas qu’un chef doit faire des impossibilités que soulèvent les inférieurs, sitôt qu’on les consulte dans les momens suprêmes, car ils voient les inconvéniens et ne voient pas la nécessité qui commande qu’on les oublie. Le général d’artillerie Balthus soutient qu’il est impossible de faire passer le canon dans les chemins de traverse que l’on propose de suivre. Il appuie cet avis de sa longue expérience du métier au moment même où toute l’artillerie de 60,000 Prussiens défile, pour ainsi dire, sous ses yeux impunément, dans les mêmes lieux, à travers ces mêmes obstacles qu’il juge insurmontables.

Cette raison fut une de celles dont se couvrit le maréchal Grouchy : il la saisit avec avidité ; mais dans le fond ce qui l’empêchait d’agir, c’était l’idée fausse qu’il s’était faite du mouvement de l’ennemi et le poids de sa propre responsabilité. Elle l’écrasait au point de lui ôter tout autre sentiment. Quand il eût fallu improviser des manœuvres, il se contentait de s’attacher à celle qu’il avait commencée. D’ailleurs, comme il arrive toujours, les motifs à alléguer pour persévérer dans l’inertie ne lui manquaient pas. « Il avait ses instructions, c’était à lui de les suivre. La guerre d’inspiration ne convient qu’au chef ; le lieutenant doit obéir. La maxime de marcher au canon n’est pas toujours la bonne. On vient de retrouver la trace des Prussiens à Wavre ; est-ce le moment de les quitter de nouveau pour s’engager dans une direction inconnue ? Savait-on ce que l’on trouverait dans cette longue marche de flanc où le général Gérard voulait qu’on s’engageât ? Quels défilés, quels escarpemens,