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cipitée d’une troupe fraîche qui se hâte de prendre part à la bataille. Elle tourne ses coups contre l’extrême gauche anglaise. Formée de la brigade du prince de Saxe-Weimar, celle-ci, atteinte par ce feu imprévu, s’effraie, lâche pied. On la voit se disperser en arrière à un quart de lieue du champ de bataille. À ce bruit, au spectacle de cette fuite, des cris de joie se font entendre sur toute la ligne française. Voilà enfin Grouchy qui arrive. Napoléon fut plus que personne empressé à croire à ce retour de la fortune. Il envoie son aide-de-camp Labédoyère répandre dans les rangs cette nouvelle, que Grouchy arrive, qu’il est là sur la hauteur de Smohain; on l’a reconnu à ses coups.

Cette nouvelle, confirmée par la fusillade qui ne fait qu’augmenter vers la droite, porte au comble l’exaltation des troupes chargées de frapper le dernier coup. Toute la ligne, d’Hougoumont à la Haie-Sainte, à Papelotte, avance avec la garde. Les blessés rentrent dans les rangs. Les tirailleurs de d’Erlon, de Quiot et de Donzelot couvrent la garde d’un rideau de fumée; ils la précèdent rapidement, pendant que, loin derrière eux, les tambours battent la charge et annoncent l’approche des colonnes d’attaque, qui les suivent au pas. Il faut que le feu de ces tirailleurs, exaltés par l’approche et l’exemple de la garde, ait été terrible en effet pour que les historiens anglais déclarent que l’armée anglaise était absolument hors d’état d’y répondre, et qu’elle était sur le point d’être rompue. En peu d’instans, sous ce feu désespéré, le 27e régiment anglais perd plus de la moitié de son monde. Une batterie française, en avant du jardin de la Haie-Sainte, marche avec les tirailleurs; elle foudroie le carré de gauche de la brigade de Kielmansegge, à cent pas ; un des côtés de l’autre carré est broyé; le reste se forme en triangle. Bientôt après, sous la mitraille, il se réduit à une poignée d’hommes. Le prince d’Orange, à la tête de la brigade de Nassau, tente de charger les tirailleurs; il est frappé d’une balle à l’épaule. Déjà Alten, Halkett, presque tous les officiers supérieurs de la division ont été blessés ou tués.

Enfin le rideau des tirailleurs s’entr’ouvre, la garde le dépasse; elle s’avance seule. Ney la conduit. A mesure qu’elle approche, elle pousse de grands cris. La seconde ligne anglaise ne voyait rien encore des têtes de colonnes en marche; mais ces cris seuls la terrifient. Elle recule et va lâcher pied. Les dragons de Vandeleur serrent les rangs et ferment le passage à ceux qui sont tentés de fuir. L’artillerie anglaise concentre son feu sur ces 2,900 hommes qui s’avancent, l’arme au bras, à la rencontre de toute une armée. Ils ne répondent pas au feu, mais ils serrent leurs rangs diminués; ils s’alignent, en passant sur leurs morts, comme dans un jour de revue. L’artillerie ennemie redouble à cinquante pas. Friant est