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d’un caporal de la vieille garde : c’était le maréchal Ney. Il s’opposait aux fuyards. Vers la Belle-Alliance, meurtri, les habits troués de balles, mais encore invulnérable, il cherchait autour de lui un détachement, une compagnie, un peloton pour se remettre à leur tête et les ramener au feu. A ceux qui passaient, il criait : «Venez! suivez-moi, je vais vous montrer comment meurt un maréchal de France sur le champ de bataille! » Ceux qui l’ont entendu assurent encore aujourd’hui que l’accent de ces paroles ne sortira jamais de leur mémoire; mais c’était là un courage surhumain qui étonnait les plus braves.

Napoléon passa près de la butte de Rossomme. C’est de là qu’il avait vu à ses pieds le matin cette héroïque armée, qui remplissait, disait-il, la terre d’orgueil. Maintenant il la voyait du même endroit désorganisée, presque anéantie, toutes les armes confondues, les bagages, les caissons, les hommes mêlés qui fuyaient sans le reconnaître à l’approche de la nuit. Il y avait là deux bataillons et une batterie : il ordonna de tirer. Le dernier coup de canon emporta la cuisse de lord Uxbridge, qui commandait la dernière charge de cavalerie.


VII. — SUITE. — DÉFENSE DE PLANCHENOIT PAR LOBAU.

Le corps prussien de Ziethen n’était pas le seul qui se fût jeté à l’improviste sur l’armée française. Presque en même temps tout le corps de Pirch déboucha derrière Bulow et prolongea sa droite et sa gauche. C’étaient encore 15,000 hommes qui tombaient sur Lobau, affaibli de douze bataillons de la garde.

La destruction entière des Français dépendait de la prise de Planchenoit. Les Prussiens s’avancent par bataillons serrés dans la direction de l’église, qui était déjà remplie de morts et de mourans. Les toits de chaume s’étaient allumés. L’incendie, réfléchi dans les vitres de l’église, éclairait le cimetière, que défendait un bataillon de chasseurs au milieu des cadavres qui leur faisaient un second retranchement. Bulow et Pirch réunis ne peuvent forcer le village de front; ils le débordent et l’enveloppent jusqu’au bois de Chantelet. La défense des Français de Lobau, au milieu des fermes en flammes, pendant que derrière eux s’écoulait toute l’armée, excite encore aujourd’hui l’étonnement des historiens étrangers. Pendant une heure et demie, cette troupe se laissa écraser pour le salut des autres. C’est là que la garde put réellement combattre. Quoique débordée de toutes parts, elle dispute chaque maison, elle se défend de haie en haie, d’arbre en arbre. Les généraux Barrois et Duhesme sont blessés grièvement. Si Planchenoit eût été pris une demi-heure