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tier-général, quoique le bourg de Waterloo soit resté en dehors de l’action pour les trois armées.


VIII. — POURSUITE DE NUIT.

Blücher communique sa fureur à ses officiers : il veut que la poursuite soit une extermination. Bulow et Ziethen suivront les fuyards l’épée dans les reins. La cavalerie du 2e et du 4e corps a déjà passé sur le front, à travers les intervalles de l’infanterie. Pirch retournera en arrière vers Ayviers; il passera la Dyle, pour couper la retraite à Grouchy et l’envelopper, lui aussi, dans la déroute. Déjà entre Rossomme et Maison-le-Roi on a pris la plus grande partie de l’artillerie et des bagages : les artilleurs ont coupé les traits de leurs chevaux et se sont dérobés. La nuit vint, et ce que l’on n’avait jamais vu à la guerre, elle n’apporta aucun répit aux vaincus. Au contraire, elle redoubla leur détresse, car dans toutes les guerres précédentes les troupes victorieuses avaient craint de se commettre dans les ténèbres, qui rétablissent l’égalité entre le fort et le faible. Sur la Bérésina même, la nuit avait été une trêve. Ici, le sentiment que tout était fini avait envahi les deux armées; il empêche l’une de résister et l’autre de s’arrêter dans son triomphe. Après tant de calamités, on connut la détresse d’une poursuite de nuit, dernière innovation de la haine. Dans les ténèbres, on tenait pour ennemis tous ceux qui approchaient, et les fuyards dispersaient les fuyards. D’ailleurs la lune se leva, et elle aussi vint en aide au vainqueur. A peine les nôtres se sont-ils réfugiés par groupes dans une cour, une étable, une ferme, ils y sont découverts, pris ou taillés en pièces. Les blessés sont arrachés de la paille sanglante où ils sont étendus. On accuse, je ne sais si c’est avec raison, le général Ziethen d’avoir joint ses insultes à celles de ses soldats.

A onze heures du soir, cette masse d’hommes, qui ne forme plus même une seule compagnie, arrive au défilé de Génappe. Napoléon croyait que le pont était de la même largeur que la chaussée ; en réalité, il était moins large de moitié. La Dyle était là peu profonde, mais elle était retenue par des écluses, et la berge dominait de haut le cours encaissé de la rivière. Tout va s’encombrer, au bout d’une rue sinueuse, sur le pont, déjà barricadé et obstrué par les voitures du parc. Personne n’indique les gués qui se trouvent au-dessous. Napoléon mit près d’une heure à traverser la foule compacte, immobile, frappée de stupeur. Il échappe avec peine, sans escorte, presque seul. Sa voiture n’a pu franchir le défilé. Elle reste aux mains de l’ennemi, et comme tout s’amplifie dans la bouche du peuple, j’ai entendu les habitans de Génappe raconter qu’elle était pleine de