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Petits-Champs, on trouve d’abord la masse énorme d’un bâtiment très disparate de style, armé sur quelques-unes de ses faces de mâchicoulis et de créneaux, sur presque toutes percé de rares fenêtres, sur aucune achevé et symétrique : c’est le palais public, ancienne résidence du gouvernement ou du légat qui le représentait, maison commune et citadelle à la fois. La façade est ornée au faîte d’une madone en terre cuite, et au-dessus de la porte d’une statue de Grégoire XIII[1] qu’en 1796 la crainte des Français a métamorphosée en saint Pétrone. Dans la cour, fort sévère, où l’on est tout réjoui de voir un poste de gardes nationaux, ces pionniers de la liberté publique qui paraissent les premiers à chacune de ses conquêtes, on se trouve en face d’un large escalier a cordoni, ouvrage du Bramante. On sait que ce nom désigne une sorte de rampe composée de marches inclinées très larges et très douces, ordinairement en briques, et bordées d’un cordon de pierre dure, en sorte qu’on y monterait à cheval sans glisser, peut-être même en voiture moyennant de légers cahots. On arrive par ces degrés à de très hauts étages et jusqu’à d’immenses pièces, la salle d’Hercule et la salle Farnèse, désignées ainsi par les statues qu’elles renferment. Les fresques que l’on aperçoit sont bien poudreuses, mais quelques-unes sont des pages de l’histoire de Bologne, et le patriotisme de l’art se rencontre trop rarement en Italie.

En face du palais, sur la même place, saint Charles Borromée a fait, étant légat, élever une très belle fontaine. Le Neptune et les Naïades à queue de poisson sont des meilleurs ouvrages de Jean de Bologne[2] ; mais le dieu qui règne sur l’onde a oublié de lui commander de couler dans la fontaine. Au-delà, le palais du podestat montre sa façade inachevée, qui n’est pas sans grandeur. Vignole a construit ces bâtimens à galeries qu’on appelle le portico de’ Banchi, et qui se lie à l’hôtel des archives, sur une ligne parallèle au flanc nord de l’église de Saint-Pétrone. Celle-ci est la véritable métropole de Bologne, quoiqu’elle n’en porte pas le titre. Le saint est le patron de la ville, et dans la guerre du seau enlevé les Bolonais s’appelaient les Pétroniens, comme les Modenais les Géminiens[3]. Lorsqu’on regarde la façade de cette église, on se trouve en présence d’un immense mur de brique sans trace d’architecture quelconque. Sa surface rude, hérissée, a pour tout ornement les trous encore béans où les maçons plantaient leurs échafauds, et les saillies des

  1. De la famille des Buoncompagni, de Bologne.
  2. C’est peut-être à cause de cet ouvrage que Jean ou Zan, qui, né à Donay, étudia en Flandre et à Rome, et travailla beaucoup à Florence, porte le nom inexpliqué de Jean de Bologne.
  3. De San Geminiano, cathédrale de Modène.