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verts, les bras étendus… Quelques-uns cherchaient à se relever et retombaient aussitôt, d’autres regardaient en l’air, comme s’ils avaient encore peur de recevoir des coups de fusil. Ils se traînaient le long du talus pour se mettre à l’abri des balles. Plusieurs semblaient résignés et cherchaient une place pour mourir, ou bien ils regardaient au loin leur régiment, qui s’en allait à Framont,… ce régiment avec lequel ils avaient quitté leur village, avec lequel ils venaient de faire une longue campagne, et qui les abandonnait ! — Il reverra la vieille Allemagne ! pensaient-ils. Et quand on demandera au capitaine, au sergent : « Avez-vous connu un tel, Hans, Kasper, Nickel, de la première ou de la seconde compagnie ? » ils répondront : « Attendez,… c’est bien possible… N’avait-il pas une balafre à l’oreille ou sur la joue, les cheveux blonds ou bruns,… cinq pieds six pouces ?… Oui, je l’ai connu… Il est resté en France, du côté d’un petit village dont je ne me rappelle plus le nom… Des montagnards l’ont massacré le même jour que le major Yéri-Peter ; c’était un brave garçon… » Et puis bonsoir !… Peut-être dans le nombre s’en trouvait-il qui songeaient à leur mère, à une jolie fille de là-bas, Gretchen ou Loetchen, qui leur avait donné un ruban en pleurant à chaudes larmes au moment du départ.

La mère Lefèvre, voyant cela, se rappelait son Gaspard. Hullin, qui venait d’arriver avec Lagarmitte, criait d’un ton joyeux : — Eh bien mes garçons, vous avez vu le feu… Mille tonnerres ! ça marche !… Les Autrichiens ne se vanteront pas de cette journée… Puis il embrassait Louise, et courait à la mère Lefèvre. — Êtes-vous contente Catherine ? Voilà nos affaires en bon état… Mais qu’avez-vous donc ? vous ne riez pas.

— Oui, Jean-Claude, tout va bien,… je suis contente ; mais regardez un peu sur la route… Quel massacre !

— C’est la guerre ! répondit gravement Hullin.

— Est-ce qu’il n’y aurait pas moyen d’aller prendre ce petit,… là-bas,… qui nous regarde avec ses grands yeux bleus ? Il me fait de la peine… Ou ce grand brun qui se bande la jambe avec son mouchoir ?

— Impossible, Catherine, j’en suis fâché ; il faudrait tailler un escalier dans la glace pour descendre, et les Autrichiens, qui vont revenir dans une ou deux heures, nous suivraient par là… Allons-nous-en. Il faut annoncer la victoire à tous les villages,… à Labarbe, à Jérôme, à Piorette… Hé ! Simon, Niklô, Marchal, arrivez ici !… Vous allez partir tout de suite… porter la grande nouvelle aux camarades… Materne, ouvre l’œil ; au moindre mouvement, fais-moi prévenir.

Ils s’approchèrent de la ferme, et Jean-Claude vit en passant la réserve et Marc Divès à cheval au milieu de ses hommes. Le contre-