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A travers cette longue et épaisse bordure de palétuviers, qui marque les contours du rivage, les nombreux fleuves de la Guyane font autant de trouées pour verser leurs eaux dans la mer, sans fournir des emplacemens favorables à l’établissement des villes maritimes : presque toutes ces bouches fluviales sont obstruées par des bancs de sable, des îlots de terre, flanquées d’alluvions vaseuses ou fermées par des barres. A Cayenne seulement, une rade de quatre milles de tour offre un mouillage aux navires tirant moins de treize pieds d’eau, c’est-à-dire de 250 à 300 tonneaux. Les grands navires ne peuvent jeter l’ancre et trouver un abri contre les mauvais temps qu’aux îles du Salut, situées en pleine mer, à vingt-sept milles de Cayenne, en face du territoire du Kourou, dont ils ne peuvent approcher. Même les communications sur la côte, faciles tant qu’on suit le vent, deviennent très pénibles pour la voile quand il faut au contraire remonter le courant aérien, et l’on y a vu des traversées de cinquante ou soixante lieues seulement durer aussi longtemps que celle de France en Amérique. Les bâtimens d’un léger tonnage peuvent, il est vrai, remonter la plupart des rivières, particulièrement le Maroni, l’Approuague et l’Oyapock, beaucoup plus larges que nos grands fleuves de France, mais sans pouvoir s’avancer au-delà de quinze ou vingt lieues. Les dures roches de granit qui composent la charpente osseuse des montagnes de la Guyane ayant résisté à l’érosion des eaux, le lit des rivières est brusquement coupé par des sauts et des cataractes qui barrent la navigation.

Réduite à son modeste mouillage de Cayenne, privée des avantages nautiques et commerciaux qu’offrent aux autres Guyanes les fleuves du Surinam, du Corentin, du Berbice et de l’Essequibo, plus profonds à leurs embouchures et navigables sur un cours plus long, la Guyane française aurait encore pu prospérer sans l’isolement géographique où elle se trouve. Rien n’aboutit à la Guyane, et elle ne mène à rien, à la différence des Antilles, qui se sont trouvées sur le trajet des grandes voies commerciales du globe, de l’ancien monde au nouveau, de l’Amérique du Nord à l’Amérique du Sud. La Guyane, isolée, n’a pu prendre à ce mouvement qu’une très faible part. Une seule fois, sous l’empire, profitant des vents et des courans qui portent ses eaux dans le golfe du Mexique, elle se mêla aux croisières dirigées contre le commerce anglais et s’y enrichit; encore était-elle trop pauvre pour avoir une véritable marine, comme ses sœurs de la Guadeloupe et de la Martinique, surtout de Saint-Domingue, et d’ailleurs les champs de course étaient trop éloignés.

A jeter un coup d’œil sur la carte, on croirait la Guyane plus favorisée : au-delà de la zone du littoral, premier théâtre de la colonisation, s’étendent à l’infini des terres montueuses enserrées par