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l’émancipation, devinrent sa propriété. Les sucreries ou grandes habitations, qualifiées de manufactures par excellence, dédaignèrent toute autre culture, tandis qu’on vit sur les petites propriétés le rocou s’associer au coton, le girofle au café ou au cacao. La nature semblait se faire complice du système des castes. L’émancipation est venue, au grand chagrin des admirateurs du passé, troubler ces harmonies; les genres de culture s’entremêlent comme les classes, sans égard à la couleur de la peau du cultivateur, et l’on a dit, avec autant d’esprit que de raison, que le jour où les noirs feront du sucre, ils seront bien près de se croire blancs; mais il leur faudrait, pour s’élever à cette noblesse, des usines centrales qui pussent manipuler leurs petites récoltes.

L’introduction de la canne à sucre remonte aux premiers âges de la colonie. Pendant un siècle et demi, l’espèce dite créole domina seule; vers 1790, elle fut remplacée par celle de Taïti, à laquelle on a depuis associé deux variétés de Batavia, l’une jaune, l’autre violette, comme étant plus hâtives. Cultivée primitivement dans les terres hautes, la canne a trouvé de bien meilleures conditions dans les terres basses, bien qu’on accuse ces fonds marécageux et argileux de profiter plus à la quantité qu’à la qualité du sucre. Quand, après de longues années de production, les terres sont fatiguées, on les répare au moyen d’une inondation d’eau douce. Le capital considérable qui est nécessaire pour l’installation d’une sucrerie a toujours beaucoup restreint le nombre de ces établissemens à la Guyane, où capitaux et crédit ont également manqué. En 1726, le père Labat en comptait vingt. Plus d’un siècle après, en 1837, il y en avait quarante-quatre, et ce fut l’apogée. On ne comptait plus, il y a quatre ans, que quatorze ou quinze établissemens, qui consacraient à la canne 3 ou 400 hectares et exportaient environ 400,000 kilogrammes, moins que certaines usines de la Réunion ou des Antilles. Ces nombres se sont aujourd’hui un peu relevés. Aux meilleurs jours, la production n’a pas dépassé 2 millions 1/2 de kilogrammes, d’une qualité un peu inférieure, soit par la faute du terroir ou celle de la fabrication. Il est vrai qu’une grande quantité de vesou est directement transformée en rhum.

La canne à sucre a trouvé à la Guyane un rival d’importance, sinon d’honneur, dans un modeste arbuste, le rocouyer, à peu près inconnu partout ailleurs, et qui croît spontanément à Cayenne. Les indigènes extrayaient de son fruit une pâte avec laquelle ils se teignaient le corps en une couleur rouge qui en renforçait la nuance naturelle. Les colons s’empressèrent d’adopter une plante dont la matière tinctoriale trouva aussitôt un débouché en Europe dans les emplois industriels qui donnent à la soie, à la laine, au coton, des