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laisse les malheureux animaux maigres et affamés dans les boues des savanes, sous des torrens de pluie. L’administration se sent-elle un jour émue de ces misères, elle institue quelques primes, donne quelques bêtes de choix, mais elle interdit rigoureusement l’exportation. Est-il pourtant un encouragement plus efficace pour la production ? La libre exportation révélerait probablement que la Guyane, placée au vent de l’Amérique centrale et des Antilles, est admirablement disposée pour faire un grand commerce de bétail avec tout l’archipel. Au contraire, l’approvisionnement même des habitans est insuffisant, et la Guyane tire ses bœufs du Sénégal, ses mulets du Poitou, ses viandes conservées d’Europe et d’Amérique, tandis qu’à côté d’elle la province brésilienne du Para s’enrichit par le bétail.

Mieux dotée pour l’industrie que la plupart de nos autres colonies, la Guyane a sous la main deux sources de fortune dans les bois qui couvrent son territoire, dans l’or mêlé à ses roches et déposé au fond de ses criques. La Guyane n’est pour ainsi dire qu’une forêt qui présente quelques éclaircies cultivées. La forêt borde la mer, contourne les marais, envahit les savanes à peine desséchées, se développe le long des rivières; par lignes, par groupes, par massifs, elle envahit tout. A l’intérieur, elle forme comme un immense bloc verdoyant de futaies d’une majestueuse et sombre magnificence, d’une profondeur indéfinie, où des arbres gigantesques représentent la succession des siècles et sollicitent la hache de l’homme. L’exploitation à grande distance en est difficile par l’absence de routes : plus près de la mer, elle trouve à sa portée les voies liquides des fleuves et des canaux; partout elle éprouve l’inconvénient du mélange confus des pieds de chaque essence au lieu d’une association par espèces et genres. En compensation, des scieries mécaniques seraient faciles à établir sur tous les cours d’eau. Ici encore l’administration se montre d’une rigueur inopportune: des permis limités à trois ou cinq ans ne peuvent que détourner les capitaux intelligens de l’établissement de vastes chantiers. Les bois de la Guyane sont cependant aussi variés que précieux. La marine de l’état y a trouvé des pièces du plus fort calibre. Les constructeurs des pénitenciers les ont appliqués à tous les usages de la menuiserie et de la charpente. L’ébénisterie parisienne, qui en a depuis peu d’années commencé l’exploitation régulière, a récemment étalé au Palais de l’Industrie des échantillons d’une rare beauté, dont les teintes parcourent la gamme presque entière des couleurs, avec toutes les variétés de dessin et de grain. La dureté de plusieurs de ces bois les recommande pour les traverses de chemins de fer. Entassés à fond de cale, ils formeraient un lest bien préférable au sable dont se chargent tant de navires en quittant Cayenne.