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vaincre, mais pour profiter de la victoire, sans inquiétude sur ses flancs, sans souci du concours du duc de Wellington, seul en champ clos avec les Prussiens, ayant encore en réserve tout le corps de Lobau, qui n’avait pas tiré un coup de fusil, toute la division Durutte et la cavalerie Jaquinot, laissées presque sous sa main par d’Erlon en se retirant. Voilà ce que Ney a fait ce jour-là. Ces services insignes devaient-ils être transformés en opprobres ? Plaise à Dieu qu’une faute de ce genre soit commise le surlendemain, et que la droite fasse le 18 ce que la gauche a fait le 16 ! Dans ce cas, Waterloo sera un Austerlitz.

Voulait-on qu’avec ses vingt mille hommes postés en rase campagne autour des Quatre-Bras, Ney détruisît en détail d’abord le corps du prince d’Orange, puis la division de Picton, puis le corps du prince de Brunswick, puis la division Cook, en un mot tout le corps de bataille du duc de Wellington, pour se rabattre sur l’armée de Blücher et la détruire à son tour ? Il y a des historiens qui sont allés jusque-là, et c’est le plus grand nombre. D’autres ont reproché même à Ney de ne s’être pas emparé avec un de ses escadrons du duc de Wellington, du prince d’Orange et du général Perponcher. Mieux vaudrait reprocher à ce maréchal de n’avoir pas tenu à lui seul la campagne contre les armées coalisées.

Encore une fois, ce que l’on pouvait raisonnablement attendre du maréchal Ney, c’est qu’il fît tête à l’armée anglaise et qu’il l’empêchât de rejoindre les Prussiens. Voilà le but. Peu importe, pour l’atteindre, qu’il fût placé en-deçà ou au-delà, ou par le travers de l’embranchement des routes. Ce n’était pas d’occuper tel plateau qu’il s’agissait, c’était de rompre la combinaison des ennemis. Il importait assez peu que Ney ne fût pas sur la chaussée, pourvu qu’il empêchât l’ennemi d’y passer. Mais l’artifice de l’imagination a été de faire croire que le moyen, c’était le but, que tout consistait à occuper la croisée des chemins, et que si on n’était pas placé à tel endroit, le résultat était manqué ; comme si les Quatre-Bras eussent été une forteresse, un camp, la clé de la position. Exemple frappant de la facilité que l’on a de faire prendre aux hommes, et même aux générations, l’ombre pour l’objet, le moyen pour le but, l’apparence pour la réalité !


VIII. — RETRAITE DES PRUSSIENS. — D’OÙ VINT L’INACTION DE NAPOLÉON DANS LA MATINÉE DU 17 ? INSTRUCTIONS DONNÉES AU MARÉCHAL GROUCHY.

Les deux ailes de l’armée française passèrent la nuit à deux lieues et demie l’une de l’autre, à Ligny et à Frasnes. Napoléon était revenu coucher à Fleurus, loin des bruits importuns du champ de bataille. Dans les anciennes campagnes, il n’eût pas manqué de bi-