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III. — LA POPULATION. — HISTOIRE DES ÉTABILISSEMENS. — LE TRAVAIL ESCLAVE ET LE TRAVAIL LIBRE.

Tant de richesses ont été jusqu’à ce jour bien peu exploitées. Depuis plus de deux siècles, l’homme et la nature sont en présence sur le sol de la Guyane sans contracter de féconde alliance. C’est que la nature ne livre que des forces indisciplinées et parfois malfaisantes, qui, pour être gouvernées, demandent l’action habile et puissante d’une nombreuse population humaine. Celle-ci fit toujours défaut, et le peu de bras et de capitaux qui s’y portèrent y sont devenus, depuis l’émancipation, réfractaires et méfians. Dès l’origine, les Français se sentirent peu de goût pour la Guyane. A toute race d’émigrans, la colonisation d’une telle contrée eût paru fort difficile, nous avons dit pourquoi ; elle devait sembler presque impossible à nos compatriotes, bien moins familiers que les Hollandais avec les travaux hydrauliques, aussi indispensables pour la culture que nécessaires à l’assainissement. Ces travaux exigeaient des connaissances pratiques et des ressources d’argent rares chez la plupart des colons, cadets de famille, marins et soldats libérés, aventuriers riches d’ambition et légers de bourse, presque tous aussi ignorans que pauvres. Avec moins de peine, Saint-Domingue et les Antilles leur promettaient une bien plus rapide fortune.

Par son utilité publique et son prix élevé, le réseau de canaux et de routes à établir comme prélude de toute colonisation rentrait dans les attributions de l’autorité, dont il ne fut qu’un souci très secondaire, et les compagnies ne se montrèrent pas plus actives que l’état. Toutes préoccupées de gains immédiats et faciles, elles n’avaient garde d’enfouir leurs trop minces capitaux en des opérations improductives. A la Guyane d’ailleurs plus peut-être qu’en toute autre colonie, l’es compagnies ne se signalèrent que par l’incapacité de leur administration, l’indignité de leurs agens, l’âpreté cupide de leurs trafics. L’état, plus généreux de sa nature, comprit à contre-sens sa libéralité. Il accorda de vastes concessions, mais sans limites précises et à titre seulement provisoire. Il ouvrit des magasins où chacun put, sur la foi d’engagemens illusoires et à peu près au gré de ses besoins, emprunter des bestiaux, des semences, des outils, des nègres, même de l’argent; c’était un encouragement aveugle à l’inertie et à la dissipation bien plus qu’un secours à la bonne volonté. Une dévote sollicitude écarta les hérétiques et les Juifs, qui enrichirent Surinam de leur intelligence et de leurs capitaux. Ministres, gouverneurs et intendans manquèrent de tout plan suivi, que l’instabilité des fonctionnaires eût d’ailleurs annulé. Au détri-