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défaut presque partout. Ici le maître, résidant à Cayenne ou même en France, s’en rapportait à un gérant pour la conduite de ses affaires, il était inconnu sur son habitation ; là manquaient les ressources pécuniaires pour acquitter les salaires en argent; ailleurs la colère ou l’amour-propre voulait imposer de force une collaboration qu’il eût fallu obtenir par persuasion. En attendant, les anciens esclaves désertèrent de plus en plus le travail; les champs se couvrirent de bois, les halliers envahirent les usines, les maisons furent abandonnées, et les quarante-quatre sucreries de 1847 se trouvaient dix ans après réduites à quatorze !

Pour prévenir de douloureuses catastrophes, le gouvernement fit de bonne heure appel aux talens de M. Sarda-Garriga, que recommandaient ses succès à la Réunion. M. Sarda-Garriga se rendit à son nouveau poste; mais, soit que la position fût déjà trop compromise, soit qu’il ne trouvât point autour de lui ce concours, aussi actif que dévoué, des habitans qui l’avait si énergiquement aidé lors de sa première mission, le succès fit défaut à ses efforts. On favorisa dès lors autant qu’on le put le système de l’association pour les bénéfices entre le propriétaire et le travailleur, système ingénieux pour les patrons qui ne peuvent payer régulièrement un salaire, système qui dure encore, comme la gêne de beaucoup d’entre eux, mais qui ne saurait porter de bons fruits. L’engagé, voyant ajournée toute rémunération de son travail jusqu’à la vente des produits et au partage des bénéfices, ne sent pas cet aiguillon d’un gain immédiat et palpable qui seul pourrait entretenir son ardeur. Il n’accorde à la propriété d’autrui que quelques heures et quelques jours de loin en loin, réservant pour ses propres cultures les meilleurs momens. De son côté, le patron est privé de toute autorité sur un colon qu’il ne peut renvoyer qu’en le payant, qu’il n’ose pas même réprimander de crainte de le faire fuir. Ce colonage par association se réduit presque toujours à une fiction qui satisfait à la légalité plus qu’à la production; d’une voix unanime, il est condamné à la Guyane comme dans les autres colonies, et le manque d’argent seul le maintient encore.

Le salariat lui-même, là où il existe, est restreint au cadre inflexible d’un engagement annuel. Les conventions au jour, au mois, à la saison, ne sont pas admises comme accomplissant la loi qui impose le livret, c’est-à-dire un contrat d’un an au minimum, sous peine de vagabondage punissable, à quiconque ne justifie pas de moyens personnels d’existence. Cette durée a paru insuffisante, parce qu’elle n’embrasse pas le cycle entier d’une récolte de sucre, et un règlement a été proposé, non adopté toutefois, pour étendre la limite à trois ans. Or l’expérience a partout démontré que les longs engagemens paraissent aux hommes même les plus sensés une