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mouvemens de cette catégorie du personnel n’autorisait des doutes que la rumeur publique accueille volontiers. Depuis 1856, toute indication même approximative manque sur le nombre des transportés par mesure de sûreté.

Des renseignemens précis font également défaut pour les forçats de France et réclusionnaires des colonies transférés à la Guyane, dont le nombre total, depuis l’année 1852, où fut décrétée la suppression des bagnes, est évalué à dix mille environ. A leur arrivée, ils ont été déposés aux îles du Salut, érigées en quartier-général de la transportation, pour être de là évacués dans des succursales sur mer ou sur terre. En mer, les îlots de la Mère et de Rémire ont servi de succursales ; sur terre, les établissemens ont été répartis entre le bassin de l’Oyapock (Montagne-d’Argent, Saint-George), celui de la rivière de la Comté (Sainte-Marie, Saint-Augustin et Saint-Philippe), et le bassin du Maroni (Saint-Laurent, Saint-Louis). Deux ou trois navires ont servi de pontons pour les conditions exceptionnelles. Aux condamnés qui achèvent leur peine et qui doivent néanmoins rester dans la colonie pour un temps limité ou à perpétuité, les postes de Montjoly, de Bourda, de Baduel, ont été assignés comme résidence. Pendant quelques années, la séquestration fut si peu rigoureuse qu’un grand nombre de forçats purent résider à Cayenne, où les uns étaient employés comme ouvriers et domestiques, tandis que d’autres tenaient en ville des auberges et des boutiques. Sur les vives réclamations du conseil municipal de Cayenne, le gouvernement métropolitain fit cesser, il y a trois ans, une tolérance qui dégénérait en scandale.

Autant que l’on peut connaître une organisation sur laquelle les documens officiels ont toujours été rares et discrets, les choix des stations de l’Oyapock et surtout de la Comté ont été malheureux : les maladies y ont sévi avec violence, et la production agricole a été insignifiante. L’habileté industrielle de beaucoup de forçats a été trop souvent détournée de sa vraie destination au profit de fantaisies particulières. La réforme n’a donc paru produire aucun résultat bien sérieux jusqu’en 1860, où un décret impérial a affecté à la transportation la moitié du territoire qui s’étend entre la Mana et le Maroni, du côté de ce dernier fleuve, qui sert de limite à la colonie. Sur ce vaste territoire ont été fondés les établissemens de Saint-Laurent et de Saint-Louis. « Trois cents pionniers, racontait un voyageur témoin de la première installation de Saint-Laurent, abandonnant les lieux habités, ont remonté une rivière, et attaquant sur un de ses bords la forêt vierge qui la couronne, ont ouvert une clairière, débarrassé le terrain des bois et des broussailles, défriché, planté des arbres fruitiers, semé des légumes,