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Teste, du 6e corps ? Or il est certain que le tissu de ce récit, tout habile qu’il est, ne peut résister à l’évidence des faits.

C’est à midi seulement, et non pas à la pointe du jour, que le maréchal Grouchy a reçu, avec le commandement de 33,000 hommes, l’ordre de poursuivre les Prussiens. On venait d’apprendre par le général Exelmans qu’il avait aperçu une arrière-garde du côté de Gembloux. C’est dans cette direction que devra marcher l’aile droite française pour atteindre Blücher. Il est certain que le maréchal Grouchy aperçut dès le premier instant la difficulté de la tâche dont il était si tardivement chargé. Il en fut effrayé, il voulut la refuser. Je tiens de la personne[1] à laquelle il a répété ses propres paroles qu’il s’élança aux pieds de l’empereur et lui dit : « Sire, donnez ce commandement au maréchal Ney, et prenez-moi avec vous. — Non, lui répondit Napoléon, j’ai besoin de Ney avec moi. »

Alors le maréchal Grouchy insista avec anxiété sur les difficultés presque insurmontables de sa mission ; il en était accablé d’avance. Il opposa que l’armée prussienne était partie à minuit, qu’on lui avait ainsi laissé prendre une avance de douze à quinze heures. Pouvait-il espérer de regagner sur elle ces deux marches ? On ignorait encore dans quelle direction se retirait le gros de l’armée, et comme il était question de chercher les Prussiens du côté de la Meuse, Grouchy ajouta qu’il était trop dangereux de s’éloigner à ce point du corps principal formant la gauche française. D’ailleurs les troupes n’étaient point encore rassemblées. Les soldats, comptant que la journée était finie, avaient démonté leurs fusils pour les laver. Que de temps ne faudrait-il pas avant que les hommes fussent réunis et qu’ils se missent en marche ! On ne pourrait s’ébranler qu’à deux heures, peut-être à trois. Dans cet intervalle, on achèverait certainement de perdre toute trace des Prussiens.

Ces représentations furent exprimées avec une sorte de véhémence qui étonna chez un homme ordinairement si soumis. Elles déplurent par tout ce qu’elles renfermaient de vrai. Napoléon ferma l’entretien par un mot amer qui ne souffrait pas de réplique : « Voulait-on lui donner des leçons ? » Il ne restait plus à Grouchy qu’à obéir. Il réunit son corps d’armée, composé du 3e corps (Vandamme), du 4e corps (Gérard), de la cavalerie d’Exelmans et de cent bouches à feu. Quand les troupes purent se mettre en marche, il était entre deux et trois heures, comme Grouchy l’avait prévu. L’armée prussienne s’était retirée par Tilly et par Gembloux. Il y avait un avantage immense à poursuivre par la route de Tilly, puisque ainsi on restait plus près de Napoléon, et en communication certaine avec lui. On prit au contraire la route de Gembloux,

  1. M. le duc d’Elchingen.