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si l’on se refusait à battre l’ennemi présent par la considération que l’on aura peut-être affaire plus tard à des ennemis encore absens, il faudrait renoncer à la guerre. N’avait-on pas vu des causes ruinées subitement relevées par un seul coup ? La postérité répondra que, puisque Napoléon s’abandonnait, il ne fallait pas s’abandonner soi-même, qu’il ne doit pas être permis de désespérer quand on a encore 100,000 hommes sous la main, sans compter les corps de Rapp, de Suchet, de Lamarque. Et au pis aller que pouvait-il arriver ? Que la bataille fût perdue, et que l’honneur fût sauvé.

Dans cette crise suprême, on cherche les traces d’un homme que l’historien Niebuhr admirait comme un ancien Romain, qui avait autrefois sauvé la France, et que Napoléon avait repris, mais en l’affaiblissant à son insu d’un titre féodal, Carnot. Lui aussi (et rien ne montre mieux l’embûche) désespéra de la défense de Paris au moment où la question fut posée. Avec Carnot, la patrie sembla se voiler et s’abandonner elle-même ; mais, ce moment excepté, ses avis gardèrent quelque chose de la trempe des temps inébranlables. Après Waterloo, il avait voulu que Napoléon, descendu au palais de l’Elysée, retournât sur-le-champ à l’armée pour la rallier. Après la capitulation de Paris, il voulait que l’assemblée et le gouvernement se retirassent au milieu des troupes, sur la Loire, pour continuer la défense et appeler la France aux armes. Tels furent ses avis. Le seul que l’on accepta fut celui où il avait désespéré. Cet homme antique s’adressait à des hommes nouveaux qui ne l’entendaient plus. Aussi cette capitulation, déguisée sous le nom de convention, a-t-elle été si funeste, que tous les partis qui y ont prêté la main, tous les gouvernemens qui s’y sont associés de près ou de loin, ont péri l’un après l’autre, frappés d’impuissance ou soupçonnés de défection.

Au milieu de ces ruines, la chambre des représentons récapitula les vœux du peuple. Comme première garantie, elle demandait une constitution délibérée par la représentation nationale, la liberté politique, le système représentatif, la liberté de la presse, la responsabilité des ministres, l’abolition de la noblesse ancienne et nouvelle. Prises pour devise dans le combat, ces paroles eussent pu avoir une grande puissance ; mais, jetées au hasard, avant de se rendre sans résistance, elles ne devaient rien produire de durable. Vains simulacres par lesquels de faibles assemblées couvrent leur retraite et leur abandon de la chose publique, d’autant plus que personne ne prend la responsabilité de semblables protestations ! On jette au vent des mots fastueux ; à leur abri, on court prêter un nouveau serment au plus fort. Rien n’a plus usé la parole chez les Français que ces déclarations qui ne sont suivies d’aucun acte, d’aucun