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château paternel, rebâti à la moderne depuis un incendie qui l’a détruit. La vue s’étend sur la vallée de la Dore, un des affluens de l’Allier, et s’arrête sur le majestueux Puy-de-Dôme. Une immense bibliothèque remplit le premier étage. C’est là que M. de Barante a passé la plus grande partie de sa vie ; conseiller d’état, pair de France, ambassadeur, c’est là qu’il aimait à se retirer dans ses jours les plus remplis, là qu’il a trouvé un refuge contre les vicissitudes de nos temps agités. Il y a maintenant bien près de quarante ans qu’il y écrivait l’Histoire des Ducs de Bourgogne, ce modèle de narration simple et attachante, et on l’y retrouve encore aujourd’hui élevant de la même main ferme et calme un monument à un ancien ami. À la vie brillante du monde, où l’attrait de son esprit lui a valu de si illustres amitiés, il a su mêler la solitude, la méditation et le travail ; il a répandu dans ses écrits la sérénité du beau paysage qui l’entoure, et chaque heure de ce temps qui passe si vite, il a pu l’arrêter et la remplir.

Les études biographiques ont toujours été une des formes favorites de son talent. Il aime les détails de l’histoire, et il y excelle. Même sans remonter à des temps éloignés, que de portraits peints avec finesse il nous aura laissés sur des contemporains ! La bienveillance, cette grâce de l’âme, y ajoute un agrément de plus sans nuire à la vérité. Lui-même nous Va dit en termes charmans dans une de ses dernières préfaces : « Ces notices peuvent être lues avec confiance ; je les donne pour sincères et vraies. La bienveillance est souvent plus juste que l’esprit chagrin et satirique. Les portraits de Saint-Simon, qui ont tant de relief et de vie, sont parfois calomnieux ; ce grand peintre n’est pas toujours vrai. » Comment écrirait de nos jours Saint-Simon lui-même ? Aurait-il les mêmes violences de passion et de style ? Sous Louis XIV, tout était mystère, dissimulation, haine cachée et contenue de nos jours, les hommes se voient en pleine lumière ; on apprend davantage à les plaindre et moins à les haïr.

La biographie politique de Royer-Collard présentait des difficultés particulières ; elle est tout entière dans ses discours, et que sont des discours loin des émotions du moment qui les a produits ? « M. Royer-Collard, dit en commençant M. de Barante, s’entretenait un jour avec moi des succès de tribune et de la gloire décernée aux orateurs. Il disait que leur nom pouvait rester illustre dans la postérité, mais que leurs discours, détachés des circonstances où ils avaient été prononcés, ne pouvaient produire leur effet sur de froids lecteurs qui cherchaient seulement un plaisir littéraire. Si on voulait, ajoutait-il, rendre la vie aux discours des orateurs politiques, il faudrait les encadrer dans un récit, dire quelle était la situation