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président du conseil, M. Decazes songea, pour calmer l’irritation légitime du roi et des royalistes de bonne foi, à modifier la loi des élections. Aucun principe n’était engagé dans ces remaniemens, qui conservaient l’élection directe et les électeurs à 300 francs. Royer-Collard consulté refusa cependant son adhésion ; il choisit même ce moment pour rompre publiquement avec le ministère, en donnant sa démission de président de la commission de l’instruction publique. M. de Barante passe rapidement sur cette démission inopportune, qu’il fut loin d’approuver, car il ne suivit pas cet exemple et concourut à la préparation de la nouvelle loi ; il cite seulement ce mot au moins étrange de Royer-Collard à M. Decazes, qui essayait de le ramener en lui montrant le danger : « Eh bien ! nous périrons ; c’est aussi une solution. »

On sait quel coup de foudre mit fin à ces difficultés intestines et déplaça brusquement le terrain politique. Le duc de Berri fut assassiné dans la nuit du 13 au 14 février 1820. Le parti ultra-royaliste, éloigné des affaires depuis quatre ans, profita de l’effroi produit par ce crime pour renverser le ministère Decazes et vaincre le roi lui-même. Une réaction nouvelle commença ; elle devait durer dix ans, sauf une courte interruption, et ne cesser qu’à la chute du trône. Dans les premiers temps du second ministère du duc de Richelieu, la victoire du parti exalté n’étant pas encore complète, Royer-Collard continua à faire partie du conseil d’état, ainsi que la plupart de ses amis. La première fois qu’il parut à la tribune après la crise, il exprima plutôt de la tristesse qu’une opposition décidée.

Il adressa un éloquent appel à l’ancienne majorité, à celle qui avait maintenu au pouvoir les ministres conciliateurs ; cet appel ne fut pas écouté. Avant la catastrophe du 13 février, il eût pu être temps encore ; après ce coup fatal, tout poussait à la droite extrême. L’accusation de complicité dans l’assassinat du prince élevée contre M. Decazes était monstrueusement absurde ; mais ce n’était pas sans raison qu’on attribuait à la licence de la presse une influence quelconque sur le meurtrier. Nous avons vu dans plus d’une circonstance que ces sinistres pensées germent dans les cœurs dépravés sous le feu des déclamations incendiaires. Royer-Collard reconnut la nécessité de mesures restrictives ; il alla même jusqu’à accorder la censure, qui n’est jamais nécessaire. « On vous demande, dit-il, la censure provisoire des journaux ; ne la refusez pas, parce que dès aujourd’hui il est besoin d’un remède contre la licence impunie. » Il insista seulement pour restreindre à un an la durée de la loi, mais sans y réussir ; pour avoir eu trop tôt et en termes trop généraux le jugement par jury, la presse allait passer plusieurs années sous le