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III

M. de Barante raconte sans aigreur la rupture qui éclata entre le ministère et les doctrinaires peu après cette discussion. « Un jour, dit-il, vers le mois de juillet, j’étais allé voir M. de Serre. Avec le même ton d’amitié de nos conversations habituelles, il me dit qu’il allait porter à la signature du roi une ordonnance qui retranchait du conseil d’état M. Royer-Collard, M. Camille Jordan, M. Guizot et moi. Il ajouta que M. Royer-Collard conservait le titre de conseiller d’état, et que sa place dans le conseil de l’université lui assurait un revenu convenable. M. Guizot avait, disait-il, une pension. Quant à moi, le roi me nommait son ministre à Copenhague. M. Camille Jordan était le seul dont la disgrâce fût complète et sans dédommagement. Je ne m’engageai à rien, et j’allai apprendre cette nouvelle à M. Royer-Collard. Comme on peut croire, il ne me témoigna ni chagrin ni émotion de cette disgrâce ; il s’attendait au dénoûment de la crise qui avait consommé l’union du ministère avec la droite. »

On connaît la lettre sévère que Royer-Collard écrivit à M. de Serre pour refuser avec une juste fierté la pension de 10,000 francs qui lui était offerte sur le sceau. « Jamais, ajoute M. de Barante, aucun rapprochement ne fut essayé entre eux ; jamais, depuis cette époque, M. de Serre n’a échangé une parole avec ses amis d’alors. Il s’était mépris sur la position de M. Guizot, qui ne jouissait d’aucune pension, et qui, sans faire entendre ni réclamation ni plainte, fit seulement remarquer cette inadvertance. M. Camille Jordan ne s’irrita point de la malveillance qu’on lui témoignait. Je n’allai point en Danemark. » Ce dernier trait surtout est d’une grâce parfaite.

Cette rupture ne devait pas sauver le ministère. La naissance du duc de Bordeaux donna un nouvel élan aux espérances de l’extrême droite. Les élections de 1820 et de 1821, car la chambre des députés se renouvelait alors tous les ans par cinquième, furent presque tout entières dans ce sens. Le ministère de transition que Louis XVIII avait appelé, après la chute de M. Decazes, pour modérer le mouvement qui l’entraînait, fut renversé par une adresse de la chambre au mois de décembre 1821, et l’extrême droite arriva aux affaires par un coup de majorité, donnant ainsi l’exemple de ce qui devait se reproduire contre elle en 1830. Royer-Collard, consultant son ressentiment beaucoup plus que sa raison, vota pour le paragraphe de l’adresse dirigé contre le cabinet, paragraphe injuste en lui-même, et qui devait avoir pour résultat d’appeler au pouvoir un parti qu’il regardait comme funeste. L’amitié de M. de Barante plaide pour lui les circonstances atténuantes. « Il hésita beaucoup,