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les besoins publics satisfaits sont des faveurs de l’administration, et pour les obtenir, les peuples, nouveaux courtisans, doivent plaire. En un mot, le ministère vote de tout le poids du gouvernement qu’il fait peser en entier sur chaque département, chaque commune, chaque profession, chaque particulier. Et quel est ce gouvernement ? C’est le gouvernement impérial, qui n’a pas perdu un seul de ses cent mille bras, qui a puisé au contraire une nouvelle vigueur dans la lutte qu’il lui a fallu soutenir contre quelques formes de liberté, et qui retrouve toujours au besoin les instincts de son berceau, la force et la ruse. Voilà où nous sommes descendus. Le gouvernement représentatif n’a pas été seulement subverti par le gouvernement impérial, il a été perverti ; il agit contre sa nature. Peu d’années ont suffi pour divulguer ce fatal secret. »

Ce tableau n’est pas d’une vérité absolue, en ce sens que le mouvement de l’opinion a plus d’une fois vaincu dans les élections l’influence du gouvernement, et M. de Villèle n’allait pas tarder à en avoir la preuve. Quand la France a réellement une volonté, rien ne l’arrête ; elle ne se laisse mener et séduire que quand elle le veut bien. Ce qui est vrai, c’est que l’action continue de l’administration empêche un esprit public permanent et régulier de se former par l’exercice quotidien des droits politiques ; l’opinion n’agit que par bouffées, elle ne se montre que comme ces torrens qui laissent tantôt leur lit à sec et qui tantôt débordent leurs rives. Jusqu’alors le ministère avait pu faire tout ce qu’il avait voulu, sans rencontrer la moindre résistance. On aurait dit la France éteinte et vaincue à jamais. Peu à peu elle se réveilla. La résistance commença dans la chambre des pairs, qui fit échouer le projet favori de M. de Villèle, la conversion des rentes ; elle se répandit bientôt dans le sein de la chambre des députés, où se forma cette fraction opposante des royalistes qu’on appela la défection.

Depuis quelques années, Louis XVIII ne gouvernait plus que de nom. Affaibli par la maladie, dominé par un parti qu’il n’aimait pas, il laissait à son frère la plus grande part de l’autorité. Au mois de septembre 1824, il acheva de s’éteindre, et Charles X devint roi. Un des premiers actes de son règne fut la présentation du projet de loi, depuis longtemps préparé, sur l’indemnité des émigrés. Royer-Collard se garda bien de s’opposer à ce grand acte de réparation nationale, qui a contribué plus qu’aucun autre à réconcilier l’ancienne et la nouvelle France en calmant à la fois les ressentimens des anciens propriétaires et les inquiétudes des nouveaux. Il ne prit la parole qu’une fois dans cette session, et ce fut pour combattre la loi sur le sacrilège. Son opposition fit beaucoup d’effet, parce qu’on le savait très attaché à la religion catholique, qu’il avait si courageusement défendue au conseil des cinq-cents. De même