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l’éclat de la pourpre d’Orient au son de la trompette. Sous le ciel d’Égypte, l’excès de la lumière, qui pâlit les couleurs, les fond entre elles et leur donne une belle harmonie. Mais que nous étions peu dignes de cette magnificence avec notre vilain costume européen !

Tout en affermissant notre assiette de cavalier, nous admirions notre caravane et nous observions le pays. On suivait la limite de l’Égypte et du désert, passant d’une plaine aride à un bois de palmiers. Vers le milieu du jour, nous avions traversé Kanka, bourg doublement célèbre : la bataille d’Héliopolis acheva d’y être gagnée ; plus tard, Méhémet-Ali y établit le camp de sa brave armée, formée par Sèves. Elle partit de là pour aller en Syrie remporter ses victoires contre les Turcs. Notre guide, Linant-Bey, nous montra aussi, près de Kanka, le tracé du canal qui doit atteindre, par la terre de Gessen, le lac Timsah, établir une voie navigable entre le Nil et le canal maritime de Suez, et porter de l’eau douce sur le parcours de celui-ci.

Le soir, nous campâmes à Bulbeys. Nous devions perdre de vue, à partir de là, les terres cultivées. Le contraste de la verte Égypte et du désert se montrait dans toute sa vivacité. Cet aspect de la nature offre quelques traits de la société orientale, où se heurtent côte à côte l’opulence éclatante du riche et l’affreuse misère du pauvre. Une goutte d’eau du Nil sur le sol aride donne lieu à la plus puissante végétation, de même une faveur du prince peut tirer du néant le plus misérable de ses sujets et le placer au faîte des honneurs.

Pendant la nuit, le vent fit effort sur nos tentes. Hélas ! c’était le signal d’un changement de temps. Nous partîmes à quatre heures du matin ; dès que le jour parut, l’atmosphère devint subitement lourde, le ciel prit une couleur d’airain, point de nuages, point d’ombre ; le soleil devint si ardent qu’il fallut nous envelopper la tête et la nuque. On peut s’étonner d’une chaleur pareille au mois de mars. Les chameliers, traînant péniblement leurs bêtes, prenaient soin eux-mêmes de nous l’expliquer en s’écriant : Kamsin ! mot qui signifie cinquante. Cet état de l’atmosphère est ainsi nommé parce qu’il est fréquent durant une période de cinquante jours de l’année, précisément celle où nous nous trouvions, et coïncide avec le vent dévorant du sud, dont nous éprouvâmes bientôt les atteintes. Lorsque le kamsin fond sur une contrée, la nature entière est en souffrance : les récoltes brûlent ; toutes les bêtes malfaisantes, telles que serpens et scorpions, s’agitent sous l’influence de la température ; les terres cultivées, envahies par le sable, se confondent avec le désert ; l’air manque à la poitrine ; on ne boit, on ne mange, on ne respire que poussière. La nuit, aussi brûlante que le jour, a quelque chose de sinistre. Une étoile rougeâtre perce de temps en temps les vapeurs, et des mouches phosphorescentes sillonnent l’air de leur