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sont les soixante-douze palmiers d’Elim ? À peine voit-on de chétifs rejetons. En 1840, Soliman-Pacha donna, dit-on, le dernier coup à leurs descendans. Il ramenait son armée de Syrie par l’Akaba, la famine décimait les rangs : il fit abattre ces arbres, dont les têtes furent mangées par les troupes.

De vallée en vallée, nous arrivâmes le lendemain soir à une nouvelle oasis produite par le puits de Masheb. Deux Arabes y cultivaient un jardin ombragé par un majestueux palmier et quelques arbustes. Le café de l’hospitalité nous y fut offert ; nous goûtâmes quelques instans de repos près de cette eau fraîche, à l’abri de ce feuillage. Les bêtes de selle eurent seules le privilège d’y boire, car le gros de la caravane aurait en un instant tari le puits. On voit que cette contrée n’est pas tellement dénuée d’eau que le voyage y soit très difficile ; une caravane légère n’a besoin d’emporter qu’un petit nombre de barriques.

Le 20 mars, la journée fut particulièrement fatigante. Dans nos petites épreuves, la vigueur du cuisinier Ferdinand excitait notre admiration. La nuit, il préparait les mets du lendemain. Le jour, au lieu de se laisser aller au sommeil sur son âne, il poursuivait les lièvres et les cailles, rares habitans de ce désert : il se flattait même de rencontrer des léopards et des antilopes pour alimenter sa cuisine ; mais il ne réussit à tuer que deux lézards monstrueux, qui pouvaient avoir un demi-mètre de long chacun. L’un était gris, mince et couvert d’écaillés, comme un crocodile ; l’autre vert et flasque : son corps ressemblait à un disque gonflé. Il fallut tous nos effort pour dissuader Ferdinand de nous servir ces horribles animaux. Quant aux arbres qui croissaient çà et là, ils étaient bien en harmonie avec l’ingrate nature par leur feuillage pâle et poudreux, leur tronc noueux et tordu, défendu par de longues épines. Ce sont des mimosa gummifera ; de leurs plaies sort la gomme arabique.

La proclivité du terrain se prononçait de plus en plus. À la fin de ce jour, le 20 mars, nous avions franchi un col, nous descendions l’Ouadé-Berah dans un large et profond couloir entre deux contreforts de granit à pic. Ces contre-forts plongeaient dans une vallée transversale, l’Ouad-es-Sheik, laissant tout à coup à découvert un chaos gigantesque. Je ne saurais rendre la sensation de crainte et d’admiration qui me saisit. L’œil embrassait depuis sa base un massif de montagnes immenses, où l’on distinguait l’écarlate du porphyre, le rouge sombre du granit, la couleur violâtre des assises calcinées par le soleil. Les surfaces polies et brillantes ressemblaient à des torrens de lave menaçans. Les pics hardis s’élançaient vers l’infini, tandis que le pied du mont s’enfonçait dans les sables dorés de la vallée. Sur ses flancs, de profondes déchirures,