Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 35.djvu/626

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

celles de Sainte-Sophie, de feuilles d’or intercalées entre des lames de verre. L’encens fumait autour de nous ; les nuages à travers lesquels les figures du Christ et des patriarches apparaissaient donnaient un aspect féerique au sanctuaire et disposaient aux pensées religieuses.

De l’église, les moines nous menèrent dans leur réfectoire. Une table de bois, des escabeaux, une autre table, celle-ci de pierre, à un bout de la salle, tel est le mobilier. Un plat de fer-blanc était devant chaque siège et contenait la nourriture des pères, c’est-à-dire des légumes cuits à l’eau, des fruits, du cresson, du pain. Jamais viande ni vin ne doivent pénétrer dans le couvent. La règle est d’une dureté extrême : huit offices ont lieu par vingt-quatre heures, dont deux la nuit ; mais cette vie frugale est si saine et l’air si pur dans ces montagnes ; que les cénobites atteignent un âge fort avancé. Antonio, notre interprète grec et plus tard notre drogman en Syrie, assure y avoir vu un moine de cent vingt-cinq ans. Je laisse cette assertion à sa responsabilité. Le savant Robinson affirme, lui aussi, avoir trouvé au Sinaï un moine de cent six ans[1]. L’un des pères qui nous guidaient paraissait fort vieux, et n’en escaladait pas moins très lestement les marches usées et glissantes des escaliers. On lui demanda son âge en le complimentant sur son agilité : « Quatre-vingt-cinq ans, répondit-il ; je suis heureux d’avoir assez vécu pour présenter mes hommages aux princes français. » Le supérieur de ces moines n’était point le plus âgé, mais le plus jeune ; il avait environ trente ans, et inspirait le respect par un certain air d’autorité. Les hommes choisis pour diriger le couvent ont besoin d’une grande fermeté de caractère, car l’habitation du Sinaï est un dur exil, qui sert de lieu de correction et de maison de santé aux ordres monastiques de l’église grecque.

Après le réfectoire, la bibliothèque ; celle-ci, assez pauvre, renferme cependant quelques beaux livres, bien poudreux, il est vrai. Trois sont célèbres : un petit volume de six feuillets, écrit en grec à la main, avec une admirable netteté et une si grande finesse, que les six feuillets contiennent tous les psaumes de David ; un missel en caractères d’or sur parchemin donné par Théodose au VIIIe siècle ; enfin un célèbre évangile syriaque qui a éveillé l’attention du monde savant.

Au sortir de la bibliothèque, nous nous trouvâmes de nouveau au milieu de l’entassement des bâtimens du monastère. On s’étonne d’y voir une mosquée ; elle fut bâtie au temps de Sélim ; ce subterfuge sauva le couvent de l’invasion musulmane : à l’aspect du croissant,

  1. Robinson, Biblical Researches.