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environnait un tel mélange de types, de costumes et de couleurs, que des hommes de toutes les nations de la terre semblaient s’être donné rendez-vous en cet instant au sommet de l’Horeb.

Les musulmans surtout, plus démonstratifs, sinon plus fervens que les chrétiens, avaient une fort dévote attitude. Nos serviteurs turcs et nos chameliers se prosternaient devant un rocher dans une cavité duquel Moïse, dit la tradition, cacha sa tête et vit passer la gloire de l’Éternel[1] ; ils se frottaient les mains et les joues sur la pierre pour les sanctifier. Quelques pas plus loin, ils s’assemblaient avec tous les signes d’un profond respect devant un autre roc, sur lequel semblait gravée l’empreinte d’un pied de chameau. Cet animal, véritable Pégase de l’islamisme, transportant son maître en une nuit de La Mecque à Jérusalem, aurait frappé de son pied la montagne de Moïse. Le Sinaï moderne offre cette particularité : toutes les légendes postérieures à l’Exode sont chrétiennes ou musulmanes. On ne voit dans la région nulle trace de la religion juive. Jamais Israélite n’y vient en pèlerinage, fait curieux qui paraît avoir sa cause dans l’Écriture sainte. Celle-ci a toujours distrait de l’Horeb l’attention des Hébreux pour la reporter tout entière sur la montagne de Sion. La chapelle et la mosquée sont les seuls monumens élevés sur l’Horeb à la mémoire du patriarche législateur.

La nuit fut glaciale. L’immobilité sous la tente augmentant la souffrance, je sortis et vis un spectacle émouvant. Il n’y a pas d’admiration assez grande pour une belle nuit de ces pays. Le ciel, presque violet, était radieux d’étoiles et paré d’un croissant de diamans. Les rochers du Sinaï ajoutaient au tableau l’aspect de leurs formes bizarres et la magie des souvenirs. Je me promenai dans le camp. Nos Arabes, enveloppés dans des abbaïls insuffisantes pour les garantir du froid, s’étaient couchés autour d’un grand feu de tamarix, dont les lueurs éclairaient en tremblotant leur face endormie et se projetaient sur le granit rouge des montagnes ; d’autres reposaient contre leurs animaux, empruntant leur chaleur. Les chameaux, monstres que la nature semble avoir ébauchés, paraissaient dans la nuit autant de rocs informes. Je rentrai et je dormis tant bien que mal quelques heures. Le lendemain, on cassa de la glace sur nos barriques d’eau. Pour nous réchauffer, nous gravîmes le pic de Sainte-Catherine. Le sentier suit d’abord un ravin pierreux. Devant un bizarre rocher de granit gris, haut et large de trois mètres environ, percé par une ligne circulaire d’étranges orifices naturels, le moine qui nous guidait nous arrêta. « Voici, dit-il, la roche que Moïse frappa de sa verge ; voyez ces bouches béantes

  1. Exode, chap. XXXIII, versets 21, 22, 23.