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leur talent de controverse religieuse ; mais peu à peu le couvent de Justinien acquit de l’importance, probablement parce qu’il était fortifié : Feiran était tombé en ruiné, sans même laisser d’histoire. Le couvent devint donc le siège de l’évêché et la seule habitation des moines jusqu’à nos jours. Aujourd’hui le prélat est un des quatre archevêques de l’église grecque indépendans. Il ne réside plus au Sinaï, et n’y vient que rarement.

Durant les derniers instans de notre séjour, nous nous dispersâmes dans les ravins environnans. Nous cherchions à graver dans notre mémoire l’aspect de ces paysages étranges. On se croirait moins sur la terre que dans une province des enfers ou sur les débris d’une planète éteinte. A. côté de cette scène de désolation se présentait toujours une scène de misère. Les mendians nous poursuivaient. Serfs du couvent ou nomades de la péninsule, ces hommes, décimés par la famine, passent leur vie, comme les animaux, à chercher leur nourriture. Les plus âgés sont tellement amaigris et altérés, que l’on se refuse à reconnaître son semblable dans ces spectres humains. Ils reçoivent quelque subsistance du monastère, se mettent comme guides au service des voyageurs, les pillent à l’occasion, vendent un peu de charbon d’acacia au Caire, et s’entretuent pour se disputer les dattes des rares oasis. L’attrait du Sinaï n’est pas dans les hommes qu’on y rencontre, mais dans le spectacle de la nature.

Notre camp était assis depuis trois jours et trois nuits au pied, de l’Horeb. Nos chefs donnèrent le signal du départ le 24 mars. Dans la matinée, les moines vinrent recevoir leurs présens et nous apporter quelques souvenirs, entre autres une boîte de manne, sorte de gomme d’un goût sucré, qui se forme sur les branches du turfa ou tamarix mannifera après la piqûre d’un insecte. Cette substance, fort estimée des indigènes, est presque vénérée par les moines et les pèlerins ; ils voient en elle la manne de la Bible. Elle devient très rare.

En descendant les pentes du Sinaï, nous marchions vers Jérusalem, où nous devions arriver dans les premiers jours d’avril. Nous passâmes de nouveau près du Serbal, et nous jetâmes un regard d’adieu à la vallée de Berah, d’où nous avions contemplé pour la première fois l’ensemble de la montagne sainte. Nous prîmes l’ouest et fîmes halte dans l’Ouadé-Feiran. Au Sinaï, on peut varier son itinéraire. La route que nous suivîmes au retour est la plus belle. Les montagnes présentent le même caractère de sauvage grandeur. La monotonie de la désolation est coupée par la charmante oasis de Feiran, et l’on a l’avantage de suivre une journée de plus les bords de la Mer-Rouge. Nous fîmes halte dans l’oasis, qui doit ses palmiers et sa végétation puissante aux bienfaits d’un ruisseau. Une troupe