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En ce moment, les broussailles s’écartèrent, et le grand Marc Divès, sa latte pendue au poing, apparut en criant : — Hé ! mère Catherine, en voilà des secousses. Mille tonnerres ! quelle chance que je me sois trouvé là. Ces gueux vous dévalisaient de fond en comble !

— Oui, dit la vieille fermière en fourrant ses cheveux gris sous son bonnet, c’est un grand bonheur. Ah ! si nous étions sûrs que les choses vont aussi bien là-haut !…

Quatre autres contrebandiers venaient d’arriver, disant que ce gueux de Yégof pourrait bien revenir avec un tas d’autres brigands de son espèce. — C’est juste, répondit Marc. Nous allons retourner au Falkenstein, puisque c’est l’ordre de Jean-Claude ; mais nous ne pouvons pas emmener notre fourgon, il nous empêcherait de prendre la traverse, et dans une heure tous ces bandits tomberaient sur nous. Montons toujours chez Cuny ; Catherine et Louise ne seront pas fâchées de boire un coup, ni les autres non plus ; cela leur remettra le cœur à la bonne place. Hue, Bruno ! — Il prit le cheval par la bride. On venait de charger deux hommes blessés sur le traîneau, et l’on se dirigea vers la maison du vieux forestier. Frantz se consolait un peu de n’être pas au Donon. Il avait éventré deux Autrichiens, et la vue de l’auberge le mit d’assez bonne humeur. Devant la porte stationnait le fourgon de cartouches. Cuny sortit en criant : — Soyez les bienvenus, mère Lefèvre. Quelle nuit pour des femmes ! Asseyez-vous. Que se passe-t-il là-haut ?

Tandis qu’on vidait bouteille à la hâte, il fallut encore une fois tout expliquer. Le bon vieux, la face ridée, la tête chauve, écoutait, les yeux arrondis, joignant les mains et criant : — Bon Dieu ! bon Dieu ! dans quel temps vivons-nous ! On ne peut plus suivre les grands chemins sans risquer d’être attaqués. C’est pis que les vieilles histoires des Suédois. — Et il hochait la tête.

— Allons, s’écria Divès, le temps presse, en route, en route !

Tout le monde étant sorti, les contrebandiers conduisirent le fourgon, qui renfermait quelques milliers de cartouches et deux petites tonnes d’eau-de-vie, à trois cents pas de là, au milieu de la vallée, puis ils dételèrent leurs chevaux. — Allez toujours en avant ! cria Marc ; dans quelques minutes, nous vous rejoindrons.

— Mais que veux-tu faire de cette voiture là ? disait Frantz. Puisque nous n’avons pas le temps de l’emmener au Falkenstein, mieux vaudrait la laisser sous le hangar de Cuny que de l’abandonner au milieu du chemin.

— Oui, pour faire pendre le pauvre vieux, lorsque les hulans arriveront, car ils seront ici avant une heure. Ne t’inquiète de rien, j’ai mon idée.

Frantz rejoignit le traîneau, qui s’éloignait. Bientôt on dépassa la