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l’a seule décidé à vous faire ces conditions honorables. Une plus longue résistance n’aboutirait à rien. Nous sommes maîtres du Donon, nos armées passent en Lorraine ; ce n’est pas ici que se décidera la campagne, vous n’avez donc aucun intérêt à défendre un point inutile. Nous voulons vous épargner les horreurs de la famine sur cette roche. Voyons, commandant, décidez !

Hullin se tourna vers les partisans et leur dit simplement : — Vous avez entendu ?… Moi je refuse ; mais je me soumettrai, si tout le monde accepte les propositions de l’ennemi.

— Nous refusons tous, dit Jérôme.

— Oui, oui, tous ! répétèrent les autres.

Catherine Lefèvre, jusqu’alors inflexible, regardant par hasard Louise, parut attendrie. Elle la prit par le bras, et, se tournant vers le parlementaire, elle lui dit : — Nous avons une enfant avec nous ; est-ce qu’il n’y aurait pas moyen de l’envoyer chez un de nos parens à Saverne ?

À peine Louise eut-elle entendu ces mots que, se précipitant dans les bras de Hullin avec une sorte d’effroi, elle s’écria : — Non, non ! Je veux rester avec vous, papa Jean-Claude, je veux mourir avec vous !…

— C’est bien, monsieur, dit Hullin, plus pâle que la mort ; allez ! Dites à votre général ce que vous avez vu ; dites-lui que le Falkenstein nous restera jusqu’à la mort ! Kasper, Frantz, reconduisez le parlementaire.

Ce que Hullin avait ordonné au sujet des vivres fut exécuté le jour même : chacun reçut la demi-ration pour la journée. Une sentinelle fut placée devant la caverne de Hexe-Baizel, où se trouvaient les provisions : on en barricada la porte, et Jean-Claude décida que les distributions se feraient en présence de tout le monde, afin d’empêcher les injustices ; mais toutes ces précautions ne devaient pas préserver les malheureux de la plus horrible famine.


XXII.

Dix-huit jours s’étaient écoulés. Depuis trois jours les vivres manquaient complètement au Falkenstein, et Divès n’avait pas donné signe de vie. Combien de fois, durant ces longues journées d’agonie, les montagnards avaient-ils tourné les yeux vers Phalsbourg ! combien de fois avaient-ils prêté l’oreille, croyant entendre les pas du contrebandier, tandis que le vague murmure de l’air remplissait seul l’espace ! C’est au milieu des tortures de la faim que s’écoula tout entière la dix-neuvième journée depuis l’arrivée des partisans au Falkenstein. Ils ne parlaient plus : accroupis à terre, la face amai-