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d’un avenir prospère que la triste et morne situation où nous sommes placés. Tout malheureusement semble devoir rester ainsi jusqu’à ce qu’une nouvelle catastrophe, guerre ou révolution, change de nouveau et totalement l’aspect des choses.

La guerre est finie : la Chine a senti durement le poids de notre colère, les traités sont en pleine vigueur, les grands ports du nord sont ouverts à notre commerce, le Yang-tsé-kiang a porté des centaines de navires anglais et américains jusqu’au cœur même de la Chine : cependant le commerce languit et dépérit, et Chinois et Européens sont plus éloignés les uns des autres qu’ils ne l’ont jamais été.

M. Bruce et M. de Bourboulon, le ministre anglais et le ministre français, se trouvent à Pékin : ceci est assurément fort bien ; mais l’empereur Hien-foung reste à Zehol, et ne rentrera probablement jamais dans sa capitale, « souillée par la présence des Barbares, » et ceci est assurément fort mal. On dit que le prince Koung le remplace plus que suffisamment, puisque l’empereur est hébété par la débauche, tandis que le prince Koung semble un fonctionnaire zélé et intelligent ; mais ce raisonnement n’est au fond qu’un sophisme. Puisque nous avons tant fait pour imposer la présence de nos ministres à la cour de Pékin, c’était pour que nous pussions nous trouver en relations directes avec cette cour, et pour éviter ainsi les lenteurs et les difficultés qui, dans le passé, étaient résultées de l’obligation de s’adresser au gouvernement par des intermédiaires. Or cet inconvénient existe encore. Koung est plénipotentiaire comme l’étaient ses prédécesseurs, qui tant de fois ont bafoué nos agens diplomatiques. S’il ne se permet pas dès aujourd’hui de se moquer de ses collègues les plénipotentiaires de France et d’Angleterre, c’est qu’il a encore trop peur, c’est qu’il se souvient encore trop bien de la présence de ces brillans soldats qui ont pris Takou, battu San-ko-lin-tsin, brûlé Yun-min-yun, pris Pékin, et qui ont fait un choix si intelligent parmi les objets d’art et de curiosité du palais impérial ; mais le souvenir de ce châtiment peut avec le temps perdre de sa puissance, et si le gouvernement tartare survit au coup de grâce que nous lui avons donné, il peut très bien tenter un jour de faire effort pour recouvrer son ancienne indépendance.

Depuis l’ouverture de la Chine jusqu’à ce jour, les Allemands avaient vécu ici sur un pied de parfaite égalité avec les nationaux des contrées ayant conclu des traités avec la Chine. Le gouvernement prussien a eu le dangereux amour-propre de vouloir conclure des traités spéciaux. Il a donc envoyé en Chine un ambassadeur, M. le comte d’Eulenbourg, qui se trouve en ce moment à Tien-tsin, mais qui, malgré tout le zèle qu’il déploie, n’a pas encore pu obtenir ce qu’il demande. Ceci est d’autant plus remarquable que dans le passé le gouvernement chinois n’avait jamais fait de difficultés pour laisser d’autres nations participer aux privilèges qu’il avait été forcé d’accorder à la France, à l’Angleterre, à l’Amérique et à la Russie. Il est probable cependant que le comte d’Eulenbourg finira par emporter le traité qu’il sollicite, car il est doué d’une patience vraiment chinoise, et c’est d’ailleurs un homme fort intelligent, qui saura lancer quelques menaces à propos. S’il était assuré de l’appui de M. Bruce, son succès deviendrait encore plus probable. L’Angleterre est aujourd’hui maîtresse en Chine, et ses fonctionnaires