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y exercent un pouvoir discrétionnaire. Il semble que l’on devrait associer le nom de la France au nom de l’Angleterre, et que la Russie et l’Amérique auraient bien aussi quelques mots à dire touchant les affaires de la Chine ; mais en vérité, en dehors de la Russie, qui a ses ambitions toutes particulières, la seule puissance politique en Chine, c’est l’Angleterre : M. Bruce à Pékin, M. Parkes à Canton, voilà les rois du nord et du sud du Céleste-Empire. La France est fort bien représentée, mais elle n’a rien à représenter, car ses soldats partis, et on ne les tiendra pas ici éternellement, il n’y aura plus dix Français en Chine. La Russie n’entre d’aucune manière en lice avec l’Angleterre ; elle arrondit ses territoires au nord et à l’ouest du Céleste-Empire, et ne fait aucun commerce sur la côte orientale, tandis que l’Angleterre ne se soucie nullement de nouvelles concessions territoriales et ne pense qu’aux moyens de développer et d’assurer le commerce de thé, de soie,.d’opium et de coton qui se fait dans les ports ouverts aux étrangers. Quant à l’Amérique, le prince Koung prend un ton assez haut avec elle. Instruit sans aucun doute des difficultés contre lesquelles le gouvernement de Washington lutte en ce moment, et sachant que la flotte américaine sera prochainement rappelée des eaux de la Chine, il semble vouloir essayer jusqu’où il peut pousser l’oubli des traités conclus avec les États-Unis. Tandis que les Anglais ont le droit de voyager par toute la Chine et que les mandarins leur fournissent des passeports à cet effet, un Américain qui a voulu se rendre dernièrement à Kiachta a été arrêté et renvoyé, et on lui a signifié qu’il n’avait point la permission de se promener dans l’intérieur de la Chine. Cela ne passera sans doute pas ainsi, mais c’est un premier essai tenté au moment opportun. Que l’occasion se présente, et l’Angleterre et la France auront à se plaindre à leur tour. Aujourd’hui ces pays sont encore très forts ici, trop forts peut-être, car leur attitude est presque une insulte pour le gouvernement chinois.

Dernièrement un haut mandarin de Canton s’est rendu coupable d’atroces cruautés envers des prisonniers. Les commissaires alliés l’ont saisi, l’ont jugé, l’ont destitué et condamné à quarante jours de prison. Cet événement a causé une grande émotion à Canton. Les habitans de cette ville ont été indignés de voir l’autorité de leurs chefs méconnue ; il y a eu presque une émeute ; on a jeté des pierres aux soldats étrangers, et les commissaires alliés se sont crus obligés de justifier leur manière d’agir par une notification qui se termine ainsi : « Maintenant que vous connaissez tous les motifs de l’arrestation, laissez la justice suivre son cours. Le magistrat de Pwan-yeu a été remplacé dans ses fonctions ; que son absence ne soit donc le sujet d’aucune inquiétude. Continuez à vaquer sans crainte à vos occupations journalières sans chercher à troubler la tranquillité publique par de vaines manifestations qui ne pourraient qu’être fatales à leurs auteurs, en attirant sur leurs têtes un châtiment aussi prompt que sévère. » C’est très bien, on ne saurait trop sévir contre la cruauté chinoise ; mais que dire d’un gouvernement mis en tutelle de cette façon ? Les commissaires alliés trouvent qu’un mandarin se conduit mal : ils le destituent, le condamnent à quarante jours de prison et nomment un autre fonctionnaire à sa place. Qui est maître en Chine ? Ne serait-il pas plus simple de mettre une commission alliée sur le trône de Pékin que d’y maintenir le roi fainéant qui