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langage. À quelle époque n’aurait-il pas écrit cette phrase : « Nous ne connaissons dans la convention que la convention elle-même ? »

Le soir du 31 mai, la section de la Fraternité venait dire à la commune qu’elle adhérait à ce qui s’était passé, et se plaindre d’avoir été jusque-là dominée par des aristocrates. Après un pareil coup, il ne restait plus qu’à disparaître ou à mourir. Et quel temps affreux, où mourir même était inutile et ne servait qu’à faciliter, qu’à enhardir la tyrannie ! Royer-Collard se retira à Sompuis chez sa mère, devenue veuve. Un jacobin du nom de Hery, son camarade d’études, et qui dominait le pays, consentit à le laisser libre et tranquille. « Mais je ne porterai pas le bonnet rouge ! — Alors il faut te cacher. » Il se cacha dans sa propre maison, dans une chambre mise sous les scellés. Hery feignait de l’ignorer. Quand il venait à Sompuis, il allait voir Mme Royer-Collard ; il ne la tutoyait pas, se découvrait devant elle et écrivait à Paris que le fils n’était certainement pas dans le district.

Après le 9 thermidor, le propriétaire de Sompuis s’occupa de ses champs. Il se mêlait aux travaux de l’agriculture, et mena, dit-on, la charrue. C’était encore un temps de sa vie, un temps obscur et tranquille, qu’il n’oubliait pas. Il avait, dans l’intérêt de sa commune, publié une protestation et une brochure contre l’abus des réquisitions. Dans cet écrit, que M. de Barante a réimprimé, il emploie avec développement toutes les ressources d’une dialectique subtile et serrée pour démontrer l’iniquité de la mesure en soi. Une distinction fondamentale, à laquelle on ne reviendra jamais assez, celle qui sépare l’esprit libéral de l’esprit révolutionnaire, est là exposée comme dans ses plus mémorables discours. Aux élections de l’an VI, un électeur, remarquant son nom au titre de cette brochure, dit en langage rustique : « Comment ! il y a encore de cette graine-là ! Il faut la mettre en pot. » Et l’auteur de la brochure fut élu député au conseil des cinq-cents.

À cette assemblée, il arriva sans autre parti-pris que de résister aux procédés et aux hommes révolutionnaires. Tout le monde l’a entendu établir qu’il y avait très peu de royalistes aux cinq-cents. Il les nommait. À Clichy, le royalisme, selon lui, ne dominait pas, ne se montrait pas. On n’y nourrissait, on n’y avouait que l’intention d’armer des libertés constitutionnelles la résistance des bons citoyens à la prépondérance tyrannique de l’esprit de la convention. On ne voulait que refréner les jacobins dans le pouvoir jusqu’à ce qu’on pût les en chasser. Que dans cette entreprise si légitime on dût porter toujours équité, discernement, modération, prévoyance, c’est plus douteux : l’esprit réactionnaire est sujet à s’emporter, et la justice est rare, même parmi les honnêtes gens ; mais les proscrits