Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 35.djvu/793

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de fructidor n’eurent que le temps d’être opprimés, et le droit fut violé en eux sans prétexte comme sans pudeur. Aucune iniquité de la révolution n’avait laissé à Royer-Collard un plus profond ressentiment. Il n’en pouvait parler de sang-froid. En cela, il se montrait véritablement ami de la liberté politique. On ne l’est pas par cela seulement qu’on se montre indigné d’un acte de cruauté ou de spoliation commis par le pouvoir : un peu d’honnêteté suffit en ce cas pour sentir comme on le doit ; mais l’attentat à la représentation nationale, la violation de la liberté de penser et de parler dans celui qui a reçu de son pays mandat pour penser et parler en son nom, voilà le crime politique irrémissible, et c’est en proportion de l’indignation qu’on en ressent que l’on se montre bon citoyen. Royer-Collard n’a pardonné à personne le 18 fructidor.

C’est en parlant de ce jour de tyrannie qu’il a dit : « Ne persécutez jamais un honnête homme pour une opinion qu’il n’a pas ; vous la lui donnerez. » Il disait cela en pensant au royalisme. Il n’était pas royaliste ; proscrit comme tel, il se sentit plus près de le devenir. Il y en avait encore d’autres raisons. D’abord il paraissait à jamais impossible de renouer avec le parti de la révolution. On ne voyait même plus clairement le moyen de démêler dans ses doctrines le bien du mal, et de le forcer à abjurer ses actes en consacrant ses principes. Le découragement de la raison, la renonciation à toute tentative de séparer courageusement le droit et le fait, l’usage et l’abus, les idées et les hommes, est le premier pas fait vers la contre-révolution. Une oppression commune avait achevé de lier Royer-Collard avec des hommes moins difficiles et plus absolus que lui dans leur opposition à tout ce que la révolution avait enseigné ou tenté, notamment avec Quatremère de Quincy, homme d’un esprit supérieur et emporté qui exerça sur le sien un certain empire. Il le reconnaissait pour un de ceux qui avaient été je dirais ses maîtres, si je parlais d’un autre. Il disait que trois hommes lui avaient donné des idées et paru plus que d’autres avoir un esprit vraiment original ; c’était Quatremère, M. de Serre… « Quant au troisième, ajoutait-il, c’est un drôle et bien pis encore ; il n’a rien fait de son esprit, mais il en avait infiniment. » Et baissant la voix, comme s’il en eût rougi, il le nommait. Et nous ne le nommerons pas, quoiqu’il soit mort. Le lecteur pourra remplir ce blanc comme il voudra.

Quatremère était plus franchement royaliste ; mais avec le mélange d’opinions, de goûts, de mœurs et d’habitudes que la jeunesse avait laissé à Royer-Collard, l’expérience des erreurs et des mécomptes de l’esprit de 1789, même dans ses tendances les plus pures et les plus élevées, devait pousser un juge scrupuleux et exigeant à un