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C’est là le point fondamental qui les séparait de leurs adversaires du côté droit. Sur ce point, ils se montraient absolus et intraitables. On obtenait d’eux de suspendre ou d’ajourner certaines garanties, certains développemens de la liberté proprement dite ; mais lorsqu’on les pressait d’établir ou de supposer dans la société un classement fixe, une hiérarchie immobile qui s’opposât à la libre ascension des individus, ils résistaient impérieusement, ils répondaient que le problème politique était d’accommoder le gouvernement à la société et non de refaire arbitrairement la société pour la commodité du gouvernement.

Cette controverse fut explicitement, habilement soutenue et menée très loin. C’est cette thèse de la démocratie sociale que dans le parti réactionnaire, et même dans le parti conservateur du temps, on reprochait spécialement aux doctrinaires. On leur objectait qu’aucun gouvernement, et surtout celui qu’ils réclamaient, la monarchie constitutionnelle, ne pouvait s’édifier sur un sol aussi mobile. C’est alors qu’on découvrit que l’Angleterre était éminemment aristocratique, chose par parenthèse dont le dernier siècle, qui la citait souvent, ne s’était pas aperçu. Montesquieu même insinue que l’Angleterre manquait trop d’aristocratie ; mais du fait contraire, qui était la vérité et que l’on exagérait, on déduisait la possibilité et la durée de la liberté britannique. Sur des bases différentes, on défiait d’élever le même monument. Après je ne sais plus quel discours de Royer-Collard, M. de Montlosier, qui n’était certes pas un ennemi de la liberté, mais qui ne concevait qu’une société invariablement classée, écrivait : « J’ai un portrait de l’abbé de Saint-Pierre avec ces mots écrits au bas : Paix perpétuelle. Je veux avoir un portrait de M. Royer-Collard, et j’écrirai ces mots au-dessous : Révolution perpétuelle. »

À cette mobilité, caractère propre d’une société démocratique, Royer-Collard opposait la nature du régime représentatif, qui, franchement établi et pratiqué, devait ouvrir une voie régulière, une libre arène à l’influence de l’opinion publique, et qui, s’il était à l’image de la société, lui assurait indirectement le gouvernement de ses intérêts et de ses vœux, la préservait ou la dispensait de toute agression, de toute collision, en substituant la réforme lente et le progrès insensible aux crises révolutionnaires. Enfin, comme en toute rigueur il n’était pas impossible que l’opinion populaire ne se laissât emporter à sa précipitation naturelle, il y avait pour la tempérer, pour la ralentir, toutes les formes, toutes les garanties intérieures du système constitutionnel, et cette résistance était suffisante, pourvu que la démocratie eût la sagesse d’admettre l’exception d’une pairie héréditaire et l’inviolabilité de l’hérédité royale,