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la société et qui devait présider à notre politique. Ces paroles sont assurément très fortes, et s’il était possible ici de multiplier les citations et d’analyser les discussions, on montrerait aisément à quelles conséquences étendues et variées on appliquait ces idées générales. Je n’en rapporterai qu’un exemple. On peut établir en théorie que le choix des plus imposés, lorsqu’on les charge d’une attribution exclusive dans les affaires de la communauté, est un principe aristocratique, car il ne met à part un certain nombre d’hommes que parce qu’ils sont plus riches. Un jour, dans la discussion du budget, la commission demanda que, lorsqu’une commune aurait à voter une imposition extraordinaire, les plus forts contribuables, en nombre égal à celui des membres du conseil municipal, dussent lui être adjoints pour délibérer sur cette proposition. Cette innovation semblait une garantie de plus donnée aux communes, alors privées de toute représentation élective. Eh bien ! Royer-Collard et Camille Jordan prirent la parole et combattirent avec beaucoup de vigueur, au nom de l’égalité, l’amendement, qui fut cependant adopté. Et non-seulement il fut adopté, mais il est devenu une disposition fondamentale de notre droit municipal. Il a été conservé après la création des conseils électifs, et je me rappelle qu’ayant à le soutenir en 1837, lorsqu’une loi sur les attributions municipales était discutée, je ne rencontrai pas d’opposition de la part des défenseurs les plus jaloux des principes démocratiques, et l’adjonction des plus imposés aux représentans élus, dans certains cas spéciaux, a traversé l’épreuve de la république. La démocratie s’est accommodée de ce que Royer-Collard repoussait en son nom.

C’est assez, je crois, établir ce que j’avais en vue : c’est que la recherche des moyens de concilier les conditions d’un bon gouvernement avec les données d’une société démocratique a de bonne heure et dès longtemps agité les meilleurs esprits. Or maintenant la question est-elle résolue ? L’est-elle dans les idées ? L’est-elle dans les faits ? Et si elle ne l’est pas, quelle question politique surpasse celle-là en importance et en opportunité ?


III

Voyons en effet ce qu’elle est devenue depuis l’époque que nous venons de rappeler. Le vœu de Royer-Collard ne fut pas exaucé, parce que ses conseils ne furent pas suivis ; la monarchie qu’il préférait succomba. Après 1830, la démocratie, ainsi du moins que l’avait entendue jusque-là tout le parti constitutionnel, ne fit plus