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qui ont eu ou qui gardent des partisans. La première, c’est que, tout le danger n’ayant apparu que depuis la démolition de l’ancien régime, toute réaction fait reculer le danger, et moins elle est limitée, plus elle est efficace. Tout ce qui dément ou rétracte la révolution rétablit l’ordre et assure la conservation. La seconde solution, c’est que le pouvoir absolu, quand il ne met pas la démocratie au défi, et que même, en la réprimant violemment, il a l’air de ménager ses intérêts, ses vanités et ses faiblesses, la trouve gouvernable et facile. La troisième est d’abandonner la démocratie à elle-même et de la laisser produire ses volontés et exercer ses forces comme elle l’entendra. De ces trois solutions évidemment grossières, aucune n’est sûre et définitive, aucune n’est morale, car toutes cherchent le bien par le mal. Aucune, si elle réussissait, ne donnerait autre chose qu’un provisoire, car tout ce qui est absolu et par conséquent extrême est passager. De cette première vue semble résulter clairement la nécessité d’une solution moyenne. Constituer la démocratie, c’est la modérer.

Ce que Tocqueville n’a pas dit, je ne me risquerai pas à le dire, et la présomption serait grande d’affirmer là où tant d’autres ont douté. Qu’il nous suffise d’avoir désarmé le problème de quelques-unes des pointes menaçantes dont le hérissent l’imagination des forts et la terreur des faibles. Limiter le mal et diminuer la difficulté nous a paru utile ; guérir l’un ou vaincre l’autre, c’est autre chose, et la solution de l’avenir ne peut être légèrement donnée. Ce que nous pensons d’ailleurs, ce que nous croyons savoir n’est pas facile à dire : il n’est pas même toujours sûr de le faire autographier pour ses amis ; mais, quelle que soit la solution, une chose est certaine, aucune n’est possible, s’il ne s’établit quelque intelligence entre les diverses classes de la société, entre tous les élémens de cette grande démocratie. Tant que l’ignorance, la crainte ou la méfiance les sépareront, il n’y a rien à faire, et le premier soin à prendre, c’est de chercher à se connaître mutuellement. L’œuvre demande plus d’un effort, et avant de rien espérer il faut que le besoin d’un tel effort soit senti. Il n’y a point de vérité politique qui ait quelque valeur tant que les esprits ne sont pas disposés à l’accueillir, à la soutenir, ou tout au moins à la chercher. La disposition des esprits, quelle est-elle ? Tout est là. Voilà pourquoi il reste toujours à nous autres écrivains quelque chose à faire, puisque notre tâche ou plutôt notre ambition est d’agir sur les esprits. Si nous pouvons quelque chose, c’est cela. Efforçons-nous donc de les arracher à l’indolence, fruit de la lassitude et du découragement. Que la jeunesse surtout ait horreur d’une apathie intellectuelle qui ne convient qu’à l’impuissance. C’est à elle que je pensais sans cesse en lisant dans les lettres