Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 35.djvu/827

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’inégalité d’exécution, c’est-à-dire sur des accidens, et non pas sur les intentions de l’artiste et sur ses théories nettement appliquées. Il serait plus vrai de dire : « Tel tableau est mal composé et d’un dessin médiocre, telle vision est peinte avec vigueur, telle scène est rendue avec mollesse et semble perdue dans les nuages. »

La nature de Murillo est peu complexe et se prête mal à tant de subtilité. C’est un homme d’instinct et non de volonté, de sentiment et non de système. Son inspiration est facile, coulante, imprévue ; on l’eût fort étonné en lui demandant de rédiger sa doctrine. Peintre par tempérament, il travaillait comme l’oiseau chante, sans effort, sans but, par plaisir. On sent dans toutes ses œuvres ce laisser-aller qui est une des formes du bonheur, mais qui doit dérouter les critiques armés d’instrumens de précision. Même lorsqu’on connaît la plupart des œuvres de Murillo, il est difficile de se faire de sa personnalité une idée bien nette, et cette difficulté est un attrait de plus. Tandis que la figure de Velasquez, cet Arabe-Castillan qui ne manque pas de sécheresse ni de dureté, s’accuse par un relief puissant, la physionomie de Murillo l’Andalous apparaît indécise, lointaine, un peu effacée. Cela tient peut-être à l’insouciance de son pinceau, à la promptitude de ses conceptions, à l’absence de concentration surtout, de même que sur la cire du sculpteur l’empreinte d’une pierre gravée est d’autant plus vague que l’on a moins fortement appuyé. Cela tient aussi à certaines contradictions que les mœurs de l’Andalousie peuvent seules expliquer. Par exemple comment admettre tant d’éclat riant, tant de grâce sensuelle, tant de volupté chez un peintre religieux ? car Murillo est un peintre exclusivement religieux, et l’on ne comptera pas, à côté de toiles innombrables inspirées par la religion et la Bible, quelques polissons déguenillés qui furent la récréation ou le gagne-pain de sa jeunesse, et qui ne donnent pas la mesure de son talent. Le petit mendiant dans un rayon de soleil que nous avons au Louvre est un échantillon de ces sortes de peintures, qui sont beaucoup plus rares qu’on ne le suppose ; les musées de Madrid et de Séville n’en possèdent pas une seule.

Pour mieux comprendre Murillo, je cherche un de ses portraits, mais non pas celui qui est à Madrid : ce portrait représente déjà l’homme âgé, le fondateur d’académie, le professeur qui pérore, pose les modèles devant ses écoliers et tourne au pédant, si l’on en jugeait par la mine triste, scolastique, que lui a donnée l’honnête et médiocre Tobar. Combien est différent le portrait que Murillo a peint lui-même, portrait célèbre que le roi Louis-Philippe avait fait acheter à Séville, et qui a été reproduit fréquemment ! Là Murillo est jeune, brillant, ardent. Ses couleurs sont vives ; le sang court et fait