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tolérer les passions, mais qui en profitait, en un mot toute la politique des bons pères s’adaptait à souhait au caractère andalous. En même temps les imaginations étaient doucement échauffées par des récits et des inventions nouvelles, miracles, jolies légendes, apparitions, visions, extases. Sainte Thérèse ne s’y méprit point quand elle vint habiter Séville pendant deux ans et y fonder un couvent de carmélites presque en face de la maison où Murillo devait plus tard mourir. Ce n’est donc plus la foi robuste du moyen âge ni l’austérité des cloîtres que Murillo représente, c’est la dévotion aisée que décrivait si bien Pascal, c’est le merveilleux de fraîche date qui glorifiait non pas la religion, mais quelques uns de ses ministres en Espagne, et qui consacrait des ordres nouvellement fondés. Voilà pourquoi Murillo peint si souvent des moines en extase, devant lesquels s’ouvre la profondeur des cieux, des franciscains qui reçoivent les baisers du petit enfant Jésus, ou des dominicains étreignant le crucifix avec tant d’ardeur que le Christ s’en détache pour les embrasser, des prêtres qui tiennent un cœur enflammé que le Christ perce délicatement d’une flèche, la Vierge qui descend sur un nuage pour apporter à un évêque la chape qu’elle a brodée, des anges qui font la cuisine d’un prieur à la stupéfaction des convives qu’il avait oubliés, ou bien des séraphins espiègles qui changent en roses et en lis les coups de discipline qu’un saint essayait de s’appliquer. Il est certain que Murillo ne choisissait pas de pareils sujets, mais qu’ils lui étaient dictés par les corporations. C’est ainsi que, dans le traité de Pacheco sur l’art de peindre, la partie qui concernait les représentations sacrées avait été rédigée par plusieurs jésuites de ses amis. Peintre de religion, Murillo était surtout le peintre des religieux, servant leur ambition, illustrant leurs innocens mensonges.

Il serait plus inutile qu’attrayant de décrire avec ordre toutes les œuvres d’un artiste qui a été fécond, inégal, et s’est beaucoup répété. Il y a de lui à Madrid plus de cinquante tableaux dans les collections publiques seulement. Séville en possède un plus grand nombre encore ; j’en compte vingt-deux dans le petit musée de la rue de l’A B C, et les églises ne sont pas moins riches, la cathédrale surtout. Ajoutez une centaine de toiles qui ont été emportées d’Andalousie, soit de force, soit à prix d’argent, et qui sont dispersées dans toute l’Europe. Supposez une autre centaine de productions moins importantes ou de portraits qui sont enfouis dans les châteaux, dans les chapelles, dans les maisons de l’Espagne, et vous ne vous exagérerez point la prodigieuse facilité d’un artiste qui, en cela comme en bien d’autres choses, fait contraste avec Velasquez. Je choisirai donc parmi ses œuvres les plus remarquables, ou les plus significatives,