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méritent peu d’être regardés ; le fond du paysage est insignifiant, les chameaux horribles ; au contraire les jeunes filles qui puisent de l’eau et restent étrangères à l’action sont quelque chose d’exquis. Des pâtes claires, transparentes, dorées, rappellent Jean Bellin ou Palma le Jeune, tandis que l’attitude et les lignes, des figures ont un air de famille avec le Poussin. On ignore à quelle époque fut peint l’Eliézer ; peut être est-ce à Madrid, où ce tableau est resté, et où Velasquez ne laissait pas son jeune compatriote manquer de commandes. Dans tous les cas, Murillo avait connu dans les palais royaux une partie des admirables œuvres du Poussin, récemment achetées à Rome. Enfin le Martyre de saint André, que les Espagnols ont placé dans le salon d’Isabelle, c’est-à-dire parmi la fleur de toutes les écoles, est une des toiles les plus petites et certainement les plus brillantes de Murillo. L’apôtre est crucifié, sous les murs de Patras, au milieu d’une affluence considérable. Je ne connais aucune composition du peintre de Séville qui soit aussi nourrie, aussi cherchée, aussi vive. Il y a malheureusement beaucoup de sous-entendus, parce que l’artiste a eu recours à ces vapeurs, qu’elles soient poussière ou rosée, qui enveloppent les contours, suppriment une partie de la ville, du paysage, et font entrevoir comme en rêve la scène qu’il a représentée. Ce vague poétique laisse plus de champ à l’imagination, tout en flattant les regards par des tons doux et célestes. Les nuages qui descendent jusque sur la tête du saint sont du moins expliqués, car les anges lui apportent la palme, et un rayon de la gloire divine vient frapper son visage. Néanmoins, si l’on approfondit l’impression que ce tableau produit, on reconnaît que toute la puissance, toute la magie est dans la couleur. Le style, le pathétique n’existent pas ; le saint paraît s’étendre sur un lit de roses, tandis que ses bourreaux s’entretiennent avec un air de bonté, tandis que la foule souriante semble assister à une fête, tandis que la nature elle-même n’offre rien que d’aimable, et l’atmosphère rien que d’enivrant. C’est le martyre facile, s’il est permis d’employer ce mot.

Pour trouver le vrai Murillo, il faut se souvenir qu’il est Andalous. De même que sa race vit par les sens et pour l’amour, de même il est réaliste et ne peut séparer son idéal de la volupté. D’une part copier la nature, de l’autre exprimer les tendresses de l’âme et ses extases efféminées autant que pieuses, voilà son double rôle. Il est tour à tour sur la terre et dans le ciel, tour à tour peintre du vrai et peintre des rêves. Si l’on veut savoir comment il faisait les portraits, qu’on examine les trois têtes qui sont dans l’angle de la plus petite des deux Conceptions, au salon carré du Louvre. Parmi ses études, je citerai l’apôtre saint Jacques, saint François de Paule, tous deux à Madrid, l’un bien posé, large de facture,