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chapelle, elle put distinguer dans la pénombre une vieille femme qui marmotait des prières entre deux ifs. À l’un de ces ifs pendillaient une multitude de scapulaires bénis sur le tombeau des saintes, sur l’autre brûlaient des cierges de toute grandeur.

— Voilà pour les vivans et voici pour les morts, lui dit tout bas la vieille femme en lui montrant les deux ifs ; l’un est l’emblème de l’espérance, l’autre celui du souvenir.

Manidette choisit un petit scapulaire de drap noir sur lequel était brodée en blanc une naïve image représentant les saintes Maries. — Il ne me quittera plus, pensa-t-elle en le suspendant à son cou, car il me rappellera sans cesse les mystérieuses fiançailles qui m’ont liée à Bamboche.

Une grosse chandelle rousse dominait le second if, et comme la jeune fille s’étonnait de cette flamme rougeâtre brûlant au milieu de la blanche clarté des cierges : — Celle-là, lui dit la vieille femme d’un ton de mépris, c’est la neuvaine du gardian.

— Quel gardian ? demanda vivement Manidette.

— J’ignore son nom, reprit la vieille ; mais je sais qu’il ne hante guère les églises, et qu’il sert mieux le démon que le Seigneur.

— Alors pourquoi ce cierge ? reprit Manidette.

— Il paraît qu’il n’a jamais connu ni père ni mère, ajouta la vieille, devenue plus expansive depuis que la jeune saunière lui avait donné une pièce d’argent en échange du scapulaire. Ne sachant pas s’ils sont vivans ou morts, il fait dire chaque année une messe et brûler neuf cierges pour le repos de leur âme. Il y a une couple d’années qu’il vint exprimer ce désir à M. le curé ; je l’entrevis comme il sortait de la sacristie : c’était un beau garçon d’une vingtaine d’années, bien découplé, brun, leste et d’air résolu. Chaque année, à la veille de la fête des saintes Maries, nous trouvons ses neuf chandelles et le prix de la messe sous le tronc des pauvres.

— Tenez, dit Manidette en donnant à la vieille le cierge mignon qu’elle tenait à la main, je désire qu’il achève de brûler à côté de la grosse chandelle du gardian. — La jeune fille ne mettait plus en doute que ce gardian ne fût Bamboche, et elle sortit tout émue de l’église.

Le soleil descendait vers la mer, les pèlerins retournaient chez eux chargés de chapelets et de médailles. Sur la place, de bruyans groupes de filles et de garçons se disposaient à la danse. C’était le moment de partir, et Manidette se mit en route. Le cœur joyeux et le pied leste, elle marchait de ce pas égal et rapide qui indique l’accomplissement d’un projet longtemps médité. Elle se sentait fière d’avoir donné irrévocablement son cœur au beau gardian. Tout entière au charme de ses pensées, elle glissait légèrement sur le sable