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de ton cœur. Je sais respecter un secret, et je ne te parlerai plus de ton engagement mystérieux ; mais rappelle-toi que je suis vieille, et qu’avant de mourir je voudrais connaître celui à qui tu as donné ton cœur.

Pour toute réponse, Manidette cacha sa tête dans le sein de son aïeule. La jeune fille ne dormit pas, elle pensait au moyen de retourner au Maset, aux soins à donner au Sangard, à l’espoir de le guérir avant le prochain dimanche.

Le lendemain, comme elle allait sarcler quelques herbes dans le jardin potager pour ses lapins, elle posa sa corbeille à terre et s’assit sur un petit tertre qui dominait le jardin. Le temps était clair, on apercevait de là le Maset, et, tout en essayant de distinguer la petite bicoque au milieu de la lande, la jeune fille se mit à chercher un prétexte pour s’y rendre. Elle était là encore, immobile et songeuse, lorsqu’Alabert passa, la carabine sur l’épaule. Il s’arrêta devant elle. — Si vous vouliez aller jusqu’au Maset, lui dit-il d’un ton de voix assez naturel, quoique un peu tremblant, vous y trouveriez des herbes apéritives bien meilleures pour vos lapins que les choux et les poireaux. De plus, les rollets et les sagnes que vous pourrez rapporter remplaceront avantageusement le son et l’avoine que vous leur prodiguez un peu trop largement peut-être.

La jeune saunière alla bien vite faire part à sa mère de ce conseil, et quelques minutes après, sa corbeille sur la tête, elle se dirigeait prestement vers le Maset. Elle trouva le Sangard en voie de guérison. Elle appliqua de nouveau des simples sur ses blessures, elle lava ses naseaux avec de l’eau fraîche, elle passa le peigne sur l’extrémité soyeuse de sa longue queue. Le taureau, qui se sentait redevenir vigoureux et superbe, regardait sa libératrice avec des yeux dilatés par la reconnaissance. Cependant le colosse flairait à grand bruit la corbeille que Manidette avait posée à terre. Il n’eut pas de peine à en ôter le couvercle, et il eut bientôt englouti les quelques poignées de son et d’avoine qu’elle renfermait.

Comme elle revenait joyeusement, elle aperçut de loin le douanier appuyé contre une camelle. Ses yeux étaient rougis par les larmes, et il lui fit signe qu’il avait à lui parler. Elle posa son fardeau à terre et s’assit sur un tertre. Il l’eut bientôt rejointe, et lui prenant la main : — Vous avez juré aux saintes Maries de n’aimer que Bamboche, lui dit-il d’un accent ému ; vous voilà donc comme sa femme, et qu’il vous épouse ou non, vous ne devez jamais vous marier avec un autre. Je n’ai plus de conseils à vous donner, ajouta-t-il avec mélancolie, et puisque vous voilà la fiancée du gardian, je vous prie d’oublier tout ce que j’ai pu dire de malveillant sur son compte ; mais, en donnant son amour à un homme on peut conserver son amitié à un autre, n’est-ce pas, doumaïselette ? Celui qui vous a