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ses observations, qui sont toutes très judicieuses et très fondées, ne sont que des observations de détail, comme celles d’un homme qui tourne dans un cercle de lectures étroit et restreint. Il n’a même pas entrevu l’idée du calendrier de lectures que nous demandons. Il est très vrai cependant que les livres ont leurs saisons ; et correspondent à telles périodes de l’année et même à telle époque d’un mois déterminé, comme ils correspondent aux diverses dispositions de l’esprit, et qu’on ne peut pas plus les lire avec profit en dehors de leur saison naturelle qu’en dépit de la disposition d’esprit qu’ils réclament. Allez donc lire les Méditations de Descartes lorsque l’attention vous fait défaut, ou bien essayez de prendre plaisir aux Provinciales lorsque votre esprit est troublé par quelque souvenir absorbant ou hanté par quelque fantôme. Il ne me semble guère moins absurde de lire indifféremment toute sorte de livres à n’importe quelle époque de l’année, à moins d’y être contraint par les obligations du dur métier de critique.

Il faudrait varier ses lectures selon les mois et les jours, comme le fidèle varie ses prières selon les offices qu’il doit suivre ou les saints patrons qu’il veut implorer. Aux longues soirées de l’hiver conviennent les lectures prolongées et sérieuses, la sévère métaphysique, les enchantemens de l’éloquence, les émotions fortes et soutenues de la grande littérature dramatique. Aux journées de printemps molles et tièdes se rapportent naturellement toutes les tribus des lyriques et des élégiaques. Aux mois d’automne conviennent les livres des sages revenus des illusions de ce monde, mais qui de ces illusions ont gardé au moins le sourire, les Essais de Montaigne, les comédies de Molière, le Don Quichotte, le Wilhelm Meister, à la condition de réserver expressément pour les jours de pluie et de brouillards les livres de ceux de ces sages qui se sont trop abandonnés à leur verve morose ou à leur misanthropie, les Voyages de Gulliver par exemple, ou les romans de Voltaire. Pour les mois de l’été, je n’oserais recommander qu’un seul grand poète, l’Arioste. L’été est la saison favorable pour goûter à loisir ses belles inventions, l’exubérante fertilité de son imagination puissante, et cette plénitude de bonne humeur qui fait de sa poésie un vrai cordial. C’est dans la saison où l’on se sent heureux de vivre et de contempler autour de soi l’opulence de la vie qu’il faut lire cette œuvre, inondée, comme la nature en été, d’une lumière riche, claire, triomphante, cette œuvre pleine aussi de frais ombrages et d’asiles discrets. À l’exception de ce grand poète, les lectures qui conviennent à la saison d’été doivent être d’une nature calmante et douce ; un peu de frivolité même ne leur nuirait pas. La saison invite au repos, aux plaisirs faciles ; les livres qu’on peut ouvrir sans préparation, dont on peut se détacher